Le danger d’une régionalisation de la guerre Israël-Hamas en mer Rouge

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La lourde riposte des Etats-Unis, épaulés par le Royaume-Uni, les 11 et 12 janvier, contre les miliciens yéménites à l’origine de multiples attaques en mer Rouge était probablement inévitable. Le mouvement houthiste, solidement installé à Sanaa, les justifie au nom de la solidarité avec la cause palestinienne, alors que l’assaut dévastateur de l’Etat hébreu contre Gaza à la suite des massacres sans précédent de civils israéliens par le Hamas, le 7 octobre, est entré dans son quatrième mois.

Ces attaques visent selon leurs auteurs les seuls cargos à destination d’Israël, à commencer par le port israélien d’Eilat, relié à la mer Rouge par le détroit de Tiran, ce qui est évidemment inacceptable. Elles auraient des conséquences désastreuses à l’échelle mondiale si elles finissaient par empêcher toute navigation sur cet axe vital.

Cette menace contraint néanmoins les Etats-Unis à une forme d’équilibrisme géopolitique. En pilonnant massivement les positions houthistes alors que les miliciens ont fait la preuve par le passé de leurs capacités de résilience, Washington nourrit en effet une rhétorique qui dénonce, depuis l’émergence de cette rébellion contre le pouvoir de l’ancien président Ali Abdallah Saleh (1990-2012), il y a désormais plus de vingt ans, son rôle dans la région, comme celui d’Israël. En reconnaissant la capacité de nuisance régionale d’un mouvement confiné jusqu’à présent dans le très complexe théâtre yéménite, les Etats-Unis font le jeu du pouvoir houthiste, qui peut utiliser en outre cet affrontement pour justifier sa main de fer sur les territoires qu’il contrôle.

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La difficulté des Etats-Unis à mettre sur pied un dispositif naval visant à empêcher ces attaques (la France n’a d’ailleurs pas participé à la riposte des 11 et 12 janvier) témoigne des obstacles existants. L’embarras des pays riverains, à commencer par l’Arabie saoudite, traduit la crainte d’une escalade qui ne ferait que des perdants. Après s’être embourbé militairement pendant des années au Yémen, avec l’appui américain, à l’initiative du prince héritier Mohammed Ben Salman, après sa nomination en 2015 comme ministre de la défense, Riyad ne songe qu’à parvenir à une trêve, prélude à un désengagement.

Catastrophe humanitaire au Yémen

Cette perspective encore fragile a fait l’objet de difficiles tractations, pour l’instant suspendues, avec les maîtres de Sanaa comme avec le gouvernement international reconnu du Yémen, porté à bout de bras par les Saoudiens. Tout dérapage servirait également les intérêts de l’Iran, qui soutient militairement la mouvance houthiste, cette dernière, elle-même inscrite dans un courant de l’islam chiite, étant proche idéologiquement de Téhéran.

Plongés depuis plus d’une décennie dans une guerre civile qui a engendré une catastrophe humanitaire dont le pays, l’un des plus pauvres au monde, aura du mal à se remettre avant longtemps, les Yéménites eux-mêmes ne seraient pas épargnés par une interruption de la navigation en mer Rouge. L’aide alimentaire dont ils dépendent transite en effet par le port d’Hodeïda, tenu par les houthistes et qui donne sur ses eaux.

Ces tensions mettent en évidence une instabilité régionale que la guerre de Gaza a décuplée. Ce constat s’ajoute aux considérations humanitaires les plus élémentaires pour demander avec force un arrêt des combats. Ils rendent invivable l’étroite bande de terre non pas pour les dirigeants du Hamas, mais pour l’ensemble des civils palestiniens piégés par la guerre.

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Le Monde



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