Le chantage injustifiable de la Russie sur la sécurité alimentaire mondiale

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Vladimir Poutine a indéniablement le sens du timing. Alors que les cours mondiaux des céréales connaissaient une accalmie, la Russie s’apprête à provoquer une nouvelle flambée des prix en décidant de se retirer de l’accord signé sous l’égide de l’Organisation des nations unies (ONU) et de la Turquie pour faciliter les exportations ukrainiennes via la mer Noire. Après avoir menacé à plusieurs reprises de ne pas honorer ses engagements, invoquant des obstacles à ses propres exportations, Moscou est passé à l’acte, lundi 17 juillet, et accroît ainsi les incertitudes sur les approvisionnements alimentaires mondiaux, notamment vers les pays les plus pauvres.

L’invasion de l’UKraine par l’armée russe à partir du 24 février 2022 avait conduit à l’arrêt brutal des livraisons de céréales, alors que Kiev était un fournisseur vital pour les pays du Moyen-Orient et d’Afrique. Un accord international avait été trouvé le 22 juillet, permettant la création d’un corridor sécurisé sur la mer Noire grâce auquel 33 millions de tonnes de denrées ont pu être expédiées.

Cet accord est un objet de chantage permanent de la part de la Russie. A peine signé, il était déjà fragilisé par une frappe russe sur le port d’Odessa. En novembre 2022, Moscou avait une première fois brièvement suspendu son application à la suite de l’attaque d’une base navale russe en Crimée. Cette fois, la Russie se plaint de l’impact des sanctions occidentales sur ses propres exportations agricoles, quand bien même celles-ci ne sont pas directement concernées par ces mesures de rétorsion.

Moscou exige notamment que la banque agricole de la Fédération de Russie soit de nouveau connectée à Swift, le service de messagerie indispensable pour les paiements transfrontaliers. La Russie réclame également la levée des restrictions sur les assurances maritimes qui, selon Moscou, frapperaient ses produits agricoles. Cette demande apparaît avant tout comme une instrumentalisation de l’accord sur les céréales pour assouplir les contraintes imposées à la Russie, notamment sur ses exportations de pétrole.

Cynisme

Au-delà de l’objectif de desserrer l’étau des sanctions occidentales, Moscou a tout intérêt à perturber les cours mondiaux de céréales. Après une récolte 2022 qui a atteint des volumes record, la Russie croule sous les stocks, ce qui pèse sur les prix et les revenus des agriculteurs russes.

Le cynisme dont fait preuve Moscou en utilisant cet accord pour obtenir des concessions de la part des Occidentaux doit être clairement dénoncé. Cette nouvelle séquence de chantage devrait ouvrir les yeux des pays du Sud qui sont dépendants des importations de céréales. Comme l’a souligné le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, des centaines de millions de personnes « vont payer le prix » de cette décision injustifiable au regard des dégâts qu’elle est susceptible d’entraîner.

Toute augmentation intempestive des cours mondiaux fragilise l’économie des pays pauvres. Comme ces derniers subventionnent largement leur secteur alimentaire pour amortir les chocs sur la population, une nouvelle flambée du prix des céréales aurait un impact dévastateur sur des économies déjà surendettées.

Dans ce contexte, Moscou a beaucoup à perdre en s’aliénant la neutralité voir le soutien d’une partie du Sud global. A trois reprises, la Russie a accepté de prolonger l’accord, bien qu’elle ait menacé à plusieurs reprises de s’en retirer. Même s’il n’est pas exclu qu’une nouvelle fois Vladimir Poutine fasse machine arrière, il n’est pas acceptable qu’il prenne périodiquement en otage la sécurité alimentaire mondiale au gré de ses intérêts.

Le Monde

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