le casse-tête des 44 231 parrainages citoyens

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Ils étaient 93 à prétendre à la course présidentielle de février. Lundi 8 janvier, plus de la moitié est déjà assurée de ne pas pouvoir y participer. Après cinq journées d’étude des dossiers, seulement neuf candidats ont pu passer avec succès le premier examen du Conseil constitutionnel, la phase de vérification de leurs parrainages, préalable avant le contrôle sur le fond de leur dossier. Un processus qui alimente interrogations et critiques au Sénégal.

Pour figurer au départ de la course, les candidats devaient présenter les parrainages de 13 députés, ou de 120 maires et présidents de conseil départemental, ou de 44 231 parrainages de citoyens inscrits sur les listes électorales, dont 2 000 issus d’au moins sept régions. C’est ce dernier type de parrainage qui s’est révélé un véritable casse-tête, d’autant plus qu’un même électeur ne peut parrainer deux candidats.

Les grandes figures de la scène politique ont évité cette voie périlleuse. Karim Wade, le fils du président Abdoulaye Wade (2000-2012), l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall ainsi que l’opposant Habib Sy ont rallié nombre de parlementaires tandis qu’Amadou Ba, dauphin du président sortant Macky Sall et actuel premier ministre, s’est tourné vers les élus locaux pour porter sa candidature. Ousmane Sonko avait également décidé d’éviter le parrainage citoyen, mais l’absence des fiches ad hoc dans son dossier – les autorités avaient refusé de les lui remettre, invoquant ses démêlés judiciaires – l’a disqualifié.

« Plainte contre X »

« Nous étions certains qu’en procédant ainsi il n’y aurait aucun doublon et nous pourrions valider le dossier du premier coup », a expliqué Benoît Sambou, le mandataire de la coalition au pouvoir qui avait pourtant annoncé en grande pompe avoir recueilli près de 4 millions de parrainages citoyens pour le candidat-premier ministre.

Ce choix du moindre risque s’avère d’autant plus raisonnable au vu des difficultés rencontrées par ceux qui n’ont pu contourner cette option. Même Idrissa Seck, le leader du parti d’opposition Rewmi, arrivé second au scrutin de 2019, n’est pas encore assuré de pouvoir participer au scrutin. Il a pour le moment été recalé car 8 000 de ses parrains étaient inscrits sur la liste d’un autre candidat. S’il veut éviter la disqualification, il doit les remplacer dans les jours qui viennent. Aminata Touré, ancienne première ministre sous Macky Sall passée dans l’opposition, n’a, elle, pas manqué de faire connaître sa colère en conférence de presse jeudi. Elle a annoncé porter « plainte contre X » après le rejet de tous ses parrains issus de la région de Saint-Louis et la notification de près de 20 000 doublons extérieurs à sa collecte.

Bassirou Diomaye Faye, le bras droit d’Ousmane Sonko et « plan B » du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), le parti d’opposition dissous fin juillet, a subi le même sort avec 4 219 doublons. Le Conseil constitutionnel a également pointé 12 375 « électeurs non identifiés », ce qui fait crier à la « fraude » Mor Ndiaye, le mandataire de l’opposant Boubacar Camara et premier à être passé le 30 décembre 2023 devant la Commission de contrôle des parrainages avait très tôt fait part de ses craintes, bien que son candidat a passé cet examen avec succès. « Actuellement, il n’y a que le ministère de l’intérieur, dirigé par un responsable du parti de Macky Sall, qui détient le fichier électoral et de manière unilatérale. C’est sur la base de ce fichier-là que le Conseil constitutionnel a conçu son logiciel de contrôle », a-t-il fustigé après que 6 069 parrains de son candidat ont été considérés comme introuvables dans la base électorale sénégalaise.

« Code source »

La colère est grande dans les rangs de l’opposition. Un collectif de 26 candidats qui se disent « spoliés de leurs parrainages » a vu le jour dimanche et annoncé la formulation d’un recours devant le Conseil constitutionnel. L’avocat Abdoulaye Tine, qui a de lui-même retiré sa candidature à la présidentielle, dit « ne pas être surpris » de ces interrogations autour des choix du Conseil constitutionnel. En avril 2021, il avait déposé un recours contre l’Etat du Sénégal devant la Cour de justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qui a ordonné à Dakar de mettre fin au système de parrainage car « il viole le droit de libre participation aux élections ». Le Sénégal a refusé d’appliquer cette décision de justice.

Malgré les critiques, Macky Sall a toujours tenu à mener à bien cette réforme, adoptée en 2018, et destinée à « rationaliser le nombre de candidatures ». Deux concessions ont cependant été faites par le chef de l’Etat à l’issue du dialogue politique de juin : le nombre minimum de parrains nécessaire est passé de 0,8 % à 0,6 % du corps électoral et la possibilité de compter sur les parlementaires ou les élus locaux à la place des citoyens a été introduite.

« Ce n’est pas une question de nombre de parrains mais de transparence, c’est comme si vous participiez à une compétition sans qu’on ne vous donne les règles du jeu, lance Abdoulaye Tine. On ne sait pas d’où vient le logiciel qui vérifie les parrainages ni quel est son code source », poursuit-il, dénonçant au passage un système de contrôle où aucun être humain « ne touche » aux piles de formulaires déposés par les candidats.

Erreurs de saisie

Moundiaye Cissé, membre de la société civile et directeur de l’organisation non gouvernementale 3D ne partage pas toutes les critiques de l’opposition. Il préconise « des investigations » mais privilégie l’hypothèse de négligences ou d’erreurs de saisie des noms des parrains par les équipes des candidats.

Son inquiétude se concentre plutôt sur les doublons. Le parrainage par un électeur de candidatures différentes est passible d’emprisonnement, mais l’application de la loi s’est révélée jusqu’ici impossible compte tenu de leur nombre beaucoup trop important. « C’est la seule chose qu’il faut changer. Il faut digitaliser le parrainage de sorte que tout candidat puisse savoir si un électeur a déjà donné sa signature à un autre candidat », selon Moundiaye Cissé.

A partir de lundi, les prétendants auront une dernière chance avec leur passage devant le Conseil constitutionnel pour régularisation de leur dossier. Les juges constitutionnels étudieront ensuite les candidatures sur le fond et auront jusqu’au 20 janvier pour annoncer la liste définitive des personnes autorisées à concourir au scrutin présidentiel de février. La campagne pourra enfin commencer.



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