l’archipel de la torture en procès à la cour d’assises de Paris

2257


« Un jour, nos geôliers ont décidé de demander nos professions. L’un d’entre nous a dit qu’il était médecin. Ils l’ont torturé bien plus que tous les autres. » Abdul Rahman (nous avons choisi de ne pas publier les noms de famille des témoins par mesure de sécurité pour leur famille) marque un temps d’arrêt. Il essaie de reprendre : « Sa photo se trouve parmi les images révélées par “César” », du nom d’un photographe légiste qui a exfiltré de Syrie quelque 45 000 clichés de cadavres correspondant à 6 700 morts. La veille, une vingtaine de photographies de corps affreusement suppliciés avaient été diffusées à l’audience.

Abdul Rahman n’arrive pas à reprendre son récit. Il réclame de l’eau, un mouchoir, tâche d’essuyer les larmes qui coulent en silence jusque sur sa barbe. Le président de la cour lui propose une chaise, puis une suspension d’audience. Dix minutes plus tard, le trentenaire à la taille haute et aux cheveux longs ramenés en chignon, reprend le récit de son calvaire.

Jeudi 23 mai, au troisième jour du procès de trois hauts responsables des services de renseignement syriens accusés de complicité de crimes contre l’humanité et de complicité de délit de guerre, l’émotion a fait son entrée dans la cour d’assises de Paris.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Trois tortionnaires syriens jugés à Paris, une première en France

Ali Mamlouk, ex-chef du Bureau de la sécurité nationale, Jamil Hassan, ex-directeur du très redouté service de renseignement de l’armée de l’air, considéré comme le plus féroce de l’appareil sécuritaire syrien, et Abdel Salam Mahmoud, ex-directeur du département des enquêtes de ce service sont jugés en leur absence pour la disparition forcée et la mort sous la torture de Mazzen et Patrick Dabbagh, un père et son fils de nationalité franco-syrienne arrêtés en novembre 2013 à Damas, emmenés à l’aéroport militaire de Mazzeh, siège des renseignements de l’armée de l’air, et déclarés morts en 2018.

Abdul Rahman, lui, a été arrêté dès avril 2011, un mois après le début du soulèvement démocratique syrien. Les hommes des services cherchaient son frère, un activiste connu. Comme les autres, il a été battu à son arrivée à l’aéroport militaire, déshabillé, poignets liés, yeux bandés. Il y a passé quarante jours. Chaque douche, chaque sortie aux toilettes se doublait de coups. Arrêté à nouveau en 2012 alors qu’il s’est engagé dans une ONG de défense des droits de l’homme, il est à nouveau conduit à Mazzeh dans une cellule de 1,5 mètre carré pour sept personnes : « On dormait à tour de rôle faute de place. »

Chaque jour, trois prisonniers torturés, juste pour la routine

Il vous reste 64.74% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.



Source link