« La voix des femmes est comme un filtre posé sur leur parole qui empêche d’écouter ce qu’elles disent »

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Aline Jalliet, à Paris, en 2023.

Dans son cabinet, Aline Jalliet reçoit aussi bien des femmes politiques que des cheffes d’entreprise, mais toutes viennent la voir avec la même question : comment se faire entendre lorsqu’elles prennent la parole ? Dans son stimulant essai Une voix à soi (Guy Trédaniel Editeur, 256 pages, 22,90 euros), cette coach décortique la construction de l’identité vocale des femmes, et explore ces biais d’écoute qui entretiennent une forme de domination vocale masculine. Avec, entre autres, les témoignages de Sandrine Rousseau, de Najat Vallaud-Belkacem, d’Elsa Zylberstein, d’Alexandra Lamy, mais aussi de femmes trans.

Vous parlez de la voix comme d’un « angle mort du sexisme ». Que voulez-vous dire par là ?

Contrairement aux hommes, les femmes sont très souvent attaquées sur leur voix. Trop aiguë, trop forte, trop fragile, la voix des femmes est comme un filtre posé sur leur parole qui empêche d’écouter ce qu’elles disent. Si une femme a une voix trop aiguë, c’est qu’elle est « hystérique » ; si elle a une voix trop forte, c’est qu’elle est violente ; si elle a une voix trop grave, c’est qu’elle est masculine…

Lorsqu’un homme prend la parole, sa voix signe dans notre oreille la crédibilité, la légitimité, la vérité. Une seule voix d’homme peut anéantir et effacer la voix d’une femme – et même de plusieurs femmes. Regardez les affaires Weinstein, Depardieu, Gérard Miller ou Patrick Poivre d’Arvor. Combien faut-il de femmes qui parlent pour détrôner une seule voix d’homme ? Devant le risque que cela leur fait prendre, beaucoup de femmes se taisent. Ou bien elles cherchent à changer leur voix pour enfin être écoutées, ou bien elles la travestissent pour plaire à tout prix.

Existe-t-il une « voix de femme » ?

Dans la réalité, non, mais dans notre oreille, oui ! On associe l’aigu au féminin. Avec les aigus, nous identifions la femme traversée par des émotions qu’elle ne contrôle pas. Lorsqu’elles veulent gagner en crédibilité, les femmes aggravent leur voix : c’est d’ailleurs ce qu’ont fait les voix féminines depuis les années 1950, en baissant leur fondamental (la note de base) d’un ton à un ton et demi. Certaines Américaines adoptent même le vocal fry, donnant à leur voix un grain de friture un peu rauque, façon Kim Kardashian.

Les stéréotypes auditifs obligent les femmes à s’identifier aux marqueurs vocaux de la « féminité », c’est-à-dire que pour se reconnaître elles-mêmes comme des femmes, elles amplifient l’aspect mélodique de leur voix, atténuent sa portée… Elles adoptent parfois ce qu’on pourrait appeler « la voix du care » : douce, aimable, gentille – inoffensive. Je pense aux infirmières ou aux institutrices. Voyez aussi les assistants vocaux comme Alexa ou les GPS : bien souvent réglés par défaut sur des voix féminines, ils renforcent l’idée que les femmes sont au service des autres.

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