la stratégie des frappes en profondeur

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Cette capture vidéo tirée d’une séquence diffusée par le ministère russe des urgences, le 19 janvier 2024, montre des sauveteurs travaillant pour éteindre un incendie dans un dépôt pétrolier à la suite d’une attaque de drone à Klintsy, dans la région de Briansk.

Jamais Kiev n’avait frappé aussi loin. Le 17 janvier et les jours suivants, plusieurs drones équipés d’explosifs ont atteint la région russe de Saint-Pétersbourg, située à 900 kilomètres de la frontière ukrainienne. Le terminal d’Oust-Louga, donnant sur la mer Baltique et où se trouvent certaines des plus importantes infrastructures de gaz naturel liquéfié de Russie, a été bombardé le 21 janvier, provoquant un vaste incendie et obligeant les autorités locales à déclarer un « régime d’alerte maximale ».

Ces bombardements inédits le montrent : la guerre en Ukraine entre dans une nouvelle phase. Après l’échec de la contre-offensive menée à l’été 2023 par les troupes de Kiev, l’état-major ukrainien s’est fait une raison : le front est désormais figé, et pour longtemps. Les combats ont beau s’y poursuivre, parfois même de façon intensive, comme à Avdiïvka ou à Koupiansk, aucun des deux belligérants n’a aujourd’hui les moyens de franchir les lignes fortifiées de l’adversaire, et encore moins d’exploiter une éventuelle percée.

Après les Russes, qui avaient créé à l’hiver 2022-2023 une triple ligne de défense couvrant tout le sud de l’Ukraine – la fameuse ligne Sourovikine, du nom du général alors en poste dans la région –, ce sont désormais les Ukrainiens qui creusent des tranchées, posent des obstacles antichars – appelés « dents de dragon » – et minent les champs pour empêcher les manœuvres adverses. « Les Ukrainiens sont en train d’étanchéifier leur espace vital », reconnaît un officier français.

Dans les airs, la présence permanente et innombrable de drones d’observation rend de toute façon toute manœuvre difficile : selon les militaires britanniques, il suffit désormais de trois à six minutes aux Russes pour pilonner une cible dès lors qu’elle a été détectée. « Le problème du front est qu’il n’est plus possible d’y créer de surprise stratégique. La quantité de moyens ISR [intelligence, surveillance et reconnaissance] y est telle que l’on ne peut plus se cacher, tout est transparent », relève Stéphane Audrand, consultant en risques internationaux et officier de réserve.

Bloqués sur le front, les Ukrainiens ont donc décidé d’aller porter le fer ailleurs. Depuis le début de l’hiver, les forces de Kiev multiplient les frappes de missiles et de drones dans la profondeur du dispositif ennemi, sur la péninsule de Crimée, mais aussi sur le territoire russe. « L’Ukraine a changé de posture et a décidé de se concentrer sur des attaques plus ciblées », analyse une source militaire, évoquant une « stratégie d’usure [qui] obtient d’ores et déjà des résultats tangibles ». « On assiste à la multiplication de stratégies dilatoires avec des frappes dans la profondeur pour obtenir un effet opérationnel », confirme Thibault Fouillet, directeur scientifique de l’Institut d’études de stratégie et de défense.

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