« La population russe semble condamnée à subir la chasse aux menaces imaginaires du Kremlin »

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« Certains veulent nous arracher un morceau “plus gros”, d’autres les aident. Ils les aident, croyant que la Russie (…) constitue toujours une menace pour quelqu’un. (…) Le terrorisme n’est, bien entendu, qu’un moyen d’atteindre ces objectifs. » Ce sont par ces mots si révélateurs que Vladimir Poutine a commenté, le 4 septembre 2004, la prise d’otages dans une école de Beslan [ville russe du Caucase] par des terroristes et séparatistes tchétchènes, ayant fait environ un millier de victimes.

Si l’on devait retenir une erreur commise par l’Occident dans sa relation avec la Russie, c’est de ne pas avoir assez prêté attention ou pris au sérieux les discours du Kremlin et des élites politico-militaires russes. Le discours anti-occidental, paranoïaque et virulent de Poutine à Munich en 2007 n’était, de ce point de vue, pas une rupture. Les croyances et les idées n’ont jamais vraiment changé depuis 1991. L’analyse des discours et des archives aurait permis à l’« Occident » d’éviter bien des surprises.

Ce qui est remarquable dans la politique russe postsoviétique, comme le démontrent les réactions du Kremlin, des élites politico-militaires et des médias russes à l’attentat du Crocus City Hall à Moscou, n’est pas l’imprévisibilité, mais la continuité, celles des élites dirigeantes et de leurs cadres cognitifs, en partie façonnés par l’époque soviétique. En accusant presque immédiatement l’Ukraine, et donc l’Occident, d’avoir commandité l’attentat, alors que l’organisation Etat islamique [au Khorassan, filiale afghane de l’EI] l’avait clairement revendiqué et que Washington, malgré l’hostilité ambiante, avait eu l’altruisme de prévenir Moscou de l’imminence de l’attaque.

Poutine ne fait pas de pari, il agit de façon prévisible et cohérente avec une ligne traditionnelle chez les élites politico-militaires, dont il est une émanation. Premièrement, ces élites ont des croyances et un mode de pensée profondément enracinés et historiques qui les incitent à penser que l’Occident, radicalement hostile et omnipotent, se trouve derrière tout événement déstabilisant. Tendance à nier le hasard et la contingence, raisonnements déterministes et impression que les phénomènes sont interconnectés et souvent dissimulés… Pour les élites politico-militaires russes, l’individu est forcément manipulé : ou bien il est l’objet des manigances des ennemis de la Russie, ou bien il est ramené dans le droit chemin par l’Etat, soi-disant pour son bien. En outre, les acteurs ont parfois recours à des théories du complot pour expliquer les contradictions et éviter de remettre en question leurs croyances centrales : ici, l’idée qu’un Occident hostile assiège et souhaite détruire la Russie.

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