En publiant sur les réseaux sociaux, mercredi 17 janvier, le décret de renonciation à sa nationalité française, Karim Wade espérait mettre fin à « une fausse polémique stérile et dangereuse ». Hélas pour le candidat du Parti démocratique sénégalais (PDS) à la présidentielle de février, né à Paris d’une mère française, la controverse continue d’enfler. Motif ? A la date du 26 décembre, jour de la clôture des dossiers de candidature, Karim Wade bénéficiait toujours de la nationalité française, puisqu’il ne l’a officiellement perdue que le 16 janvier, date de la publication du décret au Journal officiel.
« Plutôt que de le conforter, ce document le confond et l’enfonce », insiste Thierno Alassane Sall, à la tête de la République des Valeurs, dans un communiqué publié sur le réseau social X (anciennement Twitter). Cet ancien ministre de Macky Sall, qui avait saisi mardi le Conseil constitutionnel pour dénoncer la double nationalité de Karim Wade, accuse désormais l’un de ses possibles rivaux à l’élection de s’être par deux fois rendu coupable d’« acte de parjure ». Candidat à la présidentielle de 2019, le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade avait en effet annoncé avoir abandonné sa binationalité en 2018, condition sine qua non pour prétendre diriger le Sénégal.
« Le décret du 16 janvier 2024 de l’Etat français ne pouvant avoir des effets rétroactifs, il demeure constant que Karim Wade a été retenu sur la liste provisoire sans remplir une exigence majeure découlant de la Constitution. S’il avait révélé au Conseil constitutionnel la réalité à cette date de sa double nationalité, comme l’exige la déclaration sur l’honneur, il n’aurait pas été retenu dans la liste provisoire », déclare Thierno Alassane Sall, alors que les juges sont en plein examen des 21 candidatures retenues à l’issue du contrôle des parrainages. Ils ont jusqu’au 20 janvier pour les valider ou non.
Exilé au Qatar depuis juin 2016, un an après sa condamnation en 2015 à six ans de prison ferme pour enrichissement illicite, Karim Wade, ancien ministre de la coopération internationale, de l’aménagement du territoire, des transports aériens et des infrastructures, est désormais dépeint par ses rivaux en « candidat de la France ». Sans en apporter la preuve, ceux-ci le soupçonnent d’avoir bénéficié d’une procédure accélérée des autorités françaises et accusent Paris d’avoir « tenté de le sauver ».
« Coup dur »
Des attaques injustifiées, estime son entourage. « Karim n’a jamais voté en France et a refusé volontairement, lorsqu’il était en prison, de se placer sous l’ombrelle diplomatique de la France. Si sa candidature est retoquée, ce sera un coup dur pour lui, car il aura tout de même renoncé à la nationalité de sa mère », se désole un proche.
Au moment où la France fait face à une profonde défiance dans ses anciennes colonies africaines, l’affaire Wade suscite l’embarras du côté de Paris. Sollicité par Le Monde au sujet de la date du dépôt du dossier, le ministère de l’intérieur préfère ne « pas faire de commentaire ». Sous couvert d’anonymat, une source place Beauvau assure cependant qu’il n’y a pas eu de « traitement de faveur ». « Une demande de libération des liens d’allégeance française est plus rapide qu’une demande de naturalisation. Il faut surtout s’assurer que le requérant ne devienne pas apatride », précise la même source sans donner la date du dépôt de dossier.
« En général, l’instruction d’une demande de libération des liens d’allégeance à la France dure entre six et huit mois en moyenne avant une publication du décret, indique Grégoire Hervet, avocat en droit des étrangers. Pour les personnes établies à l’étranger, comme M. Wade, il faut réunir un certain nombre de documents puis les déposer au consulat. Mais la procédure demeure plus rapide qu’une demande de naturalisation, qui dure entre deux et trois ans. »
La controverse sur la binationalité de Karim Wade a été lancée le 13 janvier par un post sur X du journaliste Ayoba Faye, qui, après avoir consulté le site gouvernemental service-public.fr, pointait la présence de Karim Wade sur le fichier électoral français. Une inscription suffisante pour relancer un débat déjà agité en août par Moussa Diop, un autre membre de l’opposition – sans avoir réellement attiré l’attention. A charge désormais au Conseil constitutionnel sénégalais de clore le débat.