Devant des représentants de peuples autochtones brésiliens, Boris Patentreger dépose une brique de lait « français » et des escalopes de poulet « français ». Un moyen, pour le directeur de l’ONG Mighty Earth dans l’Hexagone, d’éclairer le lien entre cette délégation, de passage en Europe, et les consommateurs du continent. « Il y a de très fortes chances pour que ces deux produits bien français soient issus d’un élevage de bétail alimenté à partir de soja brésilien, explique-t-il. Et qu’une partie de cette ressource soit liée à des cas de déforestation récente. »
En 2022, la France a importé 3,3 millions de tonnes de soja, dont environ les deux tiers depuis le Brésil. Alors que le gouvernement de Gabriel Attal souhaite inscrire le principe de la souveraineté alimentaire dans la loi, les filières volailles et bovins restent extrêmement dépendantes de ces achats. « Au cours de la crise agricole, il y a eu beaucoup de discussions sur le fait de disposer de garanties pour n’importer que des produits équivalents à ce que l’on produit ici, remarque Boris Patentreger. Nous n’avons pas entendu la même chose concernant l’alimentation animale. »
Jeudi 14 mars, l’ONG a publié son premier rapport sur le soja réalisé dans le cadre de son programme de surveillance « Rapid response ». Objectif : mettre la pression sur les acteurs économiques afin de réduire les déboisements et la conversion de terres liés à la production de cette matière première – une stratégie qui a porté ses fruits pour l’huile de palme.
Système d’observation satellitaire
Selon cette nouvelle enquête, environ 60 000 hectares ont été détruits en Amazonie et au Cerrado, vaste zone de savane au Brésil, entre septembre et décembre 2023, à proximité d’exploitations des principaux exportateurs de soja vers l’Europe, tels que les américains Bunge et Cargill.
Pour documenter les cas de déforestation, Mighty Earth utilise d’abord les alertes du système d’observation satellitaire brésilien Deter, qui signale quotidiennement des feux, des pertes ou des changements de couvert forestier. A partir de ces informations, croisées avec celles d’autres outils de surveillance, l’ONG repère les zones où les cas de déforestation et de dégradation sont les plus nombreux. Elle mène ensuite, avec des partenaires brésiliens, des enquêtes de terrain.
Pour ce premier rapport, elle s’est notamment rendue dans la région agricole de Matopiba, située dans le Cerrado. En 2023, alors que la déforestation diminuait de plus de 50 % en Amazonie par rapport à 2022, elle a quasiment doublé dans cette zone, d’où provient 37 % du soja importé par la France. « Le soja que vous utilisez pour nourrir vos animaux est lié aux destructions et aux violences, raconte Dinamam Tuxa, le coordinateur exécutif de l’Articulation des peuples autochtones du Brésil, qui vit dans l’Etat de Bahia, dans le Cerrado. Des communautés autochtones sont forcées de quitter leurs terres. Avant il y avait des pluies, il n’y en a plus. Il y a des sécheresses prolongées, des incendies. Or les biomes sont interconnectés, sans Cerrado il n’y a pas d’Amazonie. »
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