Le président sortant en Tunisie, Kaïs Saïed, accusé de « dérive autoritaire » par l’opposition et la société civile, a remporté très largement avec plus de 89 % des voix l’élection présidentielle tunisienne, dimanche 6 octobre, selon des sondages sortie des urnes, malgré un taux de participation très faible. Prenant la parole dimanche soir dans son quartier général de campagne, le président tunisien a dit, sur un ton martial, vouloir « poursuivre la Révolution de 2011 » et bâtir « un pays nettoyé des corrompus et des complots ». « La Tunisie restera libre et indépendante et n’acceptera jamais l’ingérence étrangère », a-t-il ajouté.
Selon des données de l’institut Sigma Conseil diffusées sur la télévision nationale, Kaïs Saïed a obtenu 89,2 % des suffrages dès le premier tour, écrasant le deuxième candidat, Ayachi Zammel, un industriel libéral inconnu du grand public qui n’a obtenu que 6,9 % des voix. Le troisième, un député de la gauche panarabe Zouhair Maghzaoui, 59 ans, s’est adjugé seulement 3,9 % des suffrages, selon Sigma. Des résultats officiels préliminaires sont attendus lundi après-midi.
L’autorité électorale Isie a annoncé une participation de 27,7 % contre 45 % il y a cinq ans au premier tour. Le président de l’Isie, Farouk Bouasker, a jugé ce taux « respectable », alors qu’il s’agit du taux le plus faible pour un premier tour de scrutin présidentiel depuis le renversement du dictateur Ben Ali en 2011 dans ce pays, qui fut le berceau des soulèvements démocratiques des Printemps arabes.
Seuls Ayachi Zammel et Zouhair Maghzaoui, des seconds couteaux selon les experts, avaient été autorisés à affronter Kais Saied, 66 ans, sur initialement dix-sept postulants, écartés pour des irrégularités présumées. L’opposition dont les figures de proue sont en prison et les ONG tunisiennes et étrangères ont critiqué un scrutin « faussé en faveur de M. Saïed ».
Un candidat emprisonné
Ayachi Zammel n’a pas pu faire campagne car il est emprisonné depuis début septembre et sous le coup de trois condamnations à plus de quatorze ans de prison pour des soupçons de faux parrainages. Zouhair Maghzaoui, lui, était considéré comme « un faire-valoir » car porteur d’un projet de gauche souverainiste similaire à celui de M. Saïed qu’il soutenait jusqu’à récemment. « La légitimité de l’élection est forcément entachée quand les candidats qui pouvaient faire de l’ombre à M. Saïed ont été systématiquement écartés », a commenté, pour l’Agence France-Presse, l’analyste politique tunisien Hatem Nafti, soulignant aussi qu’il « s’agit de la pire participation depuis 2011 ».
Le processus de sélection des candidatures avait été très contesté pour le nombre élevé de parrainages exigé, l’emprisonnement de candidats potentiels connus, et l’éviction par l’Isie des rivaux les plus solides du président dont Mondher Zenaidi, un ancien ministre sous le régime Ben Ali.
Pour l’expert français du Maghreb, Pierre Vermeren, même si avec une abstention aussi forte, « la légitimité démocratique » de cette élection est « faible » : « La Tunisie a un président et la majorité des Tunisiens laissent faire. » Il a noté des analogies avec l’Algérie voisine, « où personne ne remet en cause le président » Abdelmadjid Tebboune.
Après l’annonce des sondages sortie des urnes, environ 400 partisans du président sont sortis fêter sa victoire, brandissant des drapeaux et sa photo devant le théâtre municipal au centre de Tunis en scandant « le peuple veut Kaïs de nouveau ». Un groupe a entonné avec entrain l’hymne national. Oumayma Dhouib, 25 ans, s’est dite « très contente de la victoire de “Kaïsoun” », un surnom affectueux. La jeune femme a assuré être « convaincue par ses idées et sa politique », tandis que sa mère Khadija 52 ans « fait confiance » à Kaïs Saïed.
Les pleins pouvoirs à l’été 2021
Kaïs Saïed, élu en 2019 avec près de 73 % des voix (et 58 % de participation), était encore populaire quand ce spécialiste de droit constitutionnel à l’image d’incorruptible s’est emparé des pleins pouvoirs à l’été 2021, promettant l’ordre face à l’instabilité politique.
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Trois ans plus tard, beaucoup de Tunisiens lui reprochent d’avoir consacré trop d’énergie à régler ses comptes avec ses opposants, en particulier le parti islamo-conservateur Ennahdha, dominant pendant la décennie de démocratie ayant suivi le renversement du dictateur Ben Ali en 2011.
Depuis 2021, les ONG tunisiennes et étrangères et l’opposition, dont les figures de proue ont été arrêtées, dénoncent une « dérive autoritaire » de M. Saïed, via un démantèlement des contrepouvoirs et un étouffement de la société civile avec des arrestations de syndicalistes, militants, avocats et chroniqueurs politiques. Selon Human Rights Watch, « plus de 170 personnes sont actuellement détenues pour des motifs politiques ou pour avoir exercé leurs droits fondamentaux ».
Hatem Nafti s’est inquiété d’un durcissement du pouvoir à l’égard des voix critiques car Kais Saied pourra « faire valoir son sacre pour justifier la répression ». « Aussi bien dans sa profession de foi que dans son unique intervention pendant la campagne [une allocution vidéo jeudi soir], M. Saïed a promis d’en finir avec les “traîtres” et les “ennemis de la Tunisie” », a-t-il souligné.