Josep Borrell, « un coordinateur devenu un leader »

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Josep Borrell, le vice-président de la Commission européenne, et Dmytro Kuleba, ministre des affaires étrangères de l’Ukraine, en février 2022, dans le documentaire « Au cœur de la diplomatie européenne », d’Albert Solé.

ARTE – MARDI 16 JUILLET À 23 H 35 – DOCUMENTAIRE

La Britannique Catherine Ashton et l’Italienne Federica Mogherini, les prédécesseures de l’Espagnol Josep Borrell, l’avaient déjà dit. Ce job de « haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-président de la Commission européenne » (ou HRVP, pour faire plus court) relève tout simplement de l’impossible !

En se mettant, à l’automne 2023, dans les pas de l’infatigable Josep Borrell, 77 ans, le journaliste espagnol Albert Solé le démontre parfaitement dans ce documentaire. Le HRVP saute d’un continent à l’autre, d’une crise à l’autre, tout en tentant sans relâche de mettre d’accord vingt-sept Etats aux intérêts souvent divergents, et sans autre moyen que sa seule parole. « Nous sommes un soft power dans la mesure où nos armes sont l’état de droit et le commerce », rappelle celui qui fût aussi président du Parlement européen de 2004 à 2007.

Si le chef de la diplomatie dispose d’importantes équipes, quelque 5 000 personnes réparties entre Bruxelles et les 145 délégations autour du monde, le service diplomatique européen reste désargenté. L’argent de l’aide au développement, tout comme la politique commerciale du bloc, est géré par la Commission…

« Je veux la paix »

Le documentaire s’ouvre en Ukraine, un choix loin d’être anodin. Non seulement M. Borrell s’y est rendu à de nombreuses reprises depuis le déclenchement de la guerre, en février 2022, mais c’est bien l’invasion russe qui l’a fait connaître du grand public. « La guerre en Ukraine l’a fait changer de dimension, assure face caméra Dmytro Kuleba, le ministre des affaires étrangères d’Ukraine. De coordinateur des vingt-sept Etats, il est devenu un leader. »

Un leader qui a su mobiliser les Européens pour aider militairement l’Ukraine à se défendre, en trouvant les instruments européens pour financer les armes à envoyer à Kiev ainsi que la formation de plus de 40 000 soldats ukrainiens. « Je veux la paix, confie Josep Borrell. On peut arrêter d’aider l’Ukraine, et la guerre s’arrêtera en quinze jours, mais la question reste : “comment veut-on que la guerre se termine ? ” » Certainement pas en laissant la Russie envahir l’ensemble du pays, pense le diplomate, qui arpente, sous l’œil de la caméra, les rues d’Odessa.

Le réalisateur donne également la parole à Kaja Kallas, la première ministre estonienne, qui prendra à l’automne la succession de M. Borrell en tant que HRVP. Les chefs d’Etat et de gouvernement européens l’ont décidé le 27 juin.

Le documentaire ne fait pas que suivre les moindres pas du chef de la diplomatie européenne, il donne aussi à voir l’envers du décor au siège européen, à Bruxelles. Il montre ainsi les services qui traquent la désinformation ou le centre de crise. A Cadix, en Espagne, Albert Solé présente une autre face, moins connue, du HRVP : sa responsabilité en matière de défense. Il présente le premier exercice militaire européen organisé afin de tester une force d’intervention rapide, qui serait capable de fonctionner en marge de l’OTAN.

Amer constat

Le film prend un tournant tragique quand Josep Borrell se rend en Chine pour y rencontrer le ministre des affaires étrangères. Après l’entretien avec son homologue, le 7 octobre 2023, on le voit rivé à son téléphone portable, tentant de comprendre ce qui se passe en Israël, à plusieurs dizaines de milliers de kilomètres de là. Quelque 3 000 miliciens du Hamas viennent de pénétrer sur le territoire de l’Etat hébreu, assassinant des centaines d’habitants et capturant plus de deux cents otages.

Cet épisode glaçant éclipse tout d’un coup la guerre en Ukraine, et l’Europe redécouvre la division. Après l’effroi, les Vingt-Sept se sont déchirés : « Il n’y a aucune position commune, regrette M. Borrell. Les Etats membres n’ont pas la même vision des choses. » Si les Etats ont soutenu le droit d’Israël à se défendre, la guerre que l’Etat hébreu mène depuis maintenant huit mois a déjà entraîné la mort de plus de 35 000 civils palestiniens de la Bande de Gaza.

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Ballotté de crise en crise, et à quelques mois de la fin de son mandat, Josep Borrell conclut le documentaire sur un amer constat : « L’Europe ne fait que réagir aux crises quand elles se produisent (…). Elle n’a pas une attitude proactive, mais réactive. Elle sera donc ce que le monde l’oblige à être ». Il ajoute, plus optimiste : « Je ne sais pas si l’histoire va s’accélérer ou faire marche arrière, mais ce dont je suis sûr, c’est que les Pères fondateurs ne s’imaginaient pas que l’Europe qu’ils ont conçue irait aussi loin. »

Au cœur de la diplomatie européenne, d’Albert Solé (Fr.-Esp, 2024, 54 min).

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