« J’étais dans l’injonction de la réussite sur tous les tableaux »

4724


Catherine Barrier, dirigeante d’une agence de conseil, à Tours, le 18 janvier 2024.

Elle le dit sans ambages : « J’ai vécu ma condition de femme comme une injustice. » Il y a quelques mois, lorsqu’elle donne naissance à sa fille, Marion Weber est convaincue qu’elle saura tout mener de front : la maternité et Oden, son entreprise de cosmétiques naturels créée en 2017. Elle ne s’arrête que quelques jours pour l’accouchement puis reprend avec le même rythme, très impliquée auprès des douze salariés. Et très vite, elle craque. « J’étais dans l’injonction de la réussite sur tous les tableaux, mais j’avais le sentiment d’y parvenir ni au travail ni avec mon bébé, témoigne la jeune femme de 34 ans. Ce fut épuisant, sans parler de la galère des modes de garde. »

Après une période qu’elle qualifie « d’apprentissage dans la douleur », elle retrouve peu à peu son équilibre. « Aujourd’hui je travaille moins, mais mieux, résume-t-elle. Reste que, pour moi qui ai beaucoup d’ambition, la perspective d’avoir d’autres enfants est source d’angoisse. »

Concilier vies professionnelle et familiale, répondre aux injonctions sociétales sans s’épuiser : en matière d’entrepreneuriat aussi, le fossé entre les hommes et les femmes peine à se résorber. Selon les derniers chiffres de la banque publique d’investissement Bpifrance sur le sujet, celles-ci représentaient en effet 32 % seulement des créations d’entreprises en 2022 – une proportion qui stagne depuis dix ans –, 33 % des dirigeantes de très petites et moyennes entreprises (TPE et PME), et 12 % seulement de celles des sociétés de taille intermédiaire.

En outre, elles sont largement cantonnées aux secteurs estampillés comme « féminins » : plus des deux tiers des entreprises individuelles créées dans les services à la personne ou l’action sociale le sont par des femmes, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), alors qu’elles sont peu présentes dans la construction, les transports et les start-up. « Cette répartition, que l’on retrouve aussi sur le marché du travail, est en partie le fruit de l’orientation : les étudiantes sont sous-représentées dans les sciences dures et surreprésentées en sciences sociales », rappelle Anne Boring, économiste à la tête de la chaire pour l’entrepreneuriat des femmes de Sciences Po.

Si peu d’entre elles se tournent vers l’entrepreneuriat, c’est en partie parce que celui-ci reste associé à des valeurs et des modèles masculins. « Les responsabilités, le stress… J’étais convaincue que diriger une entreprise n’était pas pour mes épaules, mais, en vérité, je me mettais des freins toute seule », confie Johanny Grandclaude. Après un travail sur elle, elle a finalement sauté le pas : en 2021, elle a créé Senior Compagnie, une agence d’aide à domicile pour personnes âgées, à Metz.

Il vous reste 75% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.



Source link