et si vous adoptiez le regard animal ?

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Nina, chien husky aux yeux vairons.

Ces dernières années, la dénonciation du « male gaze » (« regard masculin ») comme unique référent culturel s’est accompagnée de la production d’œuvres déployant un « female gaze » comme un contrepoint nécessaire. Or, il semblerait que s’opère dans la sphère intellectuelle et artistique un autre décentrement, tout aussi passionnant : celui de l’élaboration d’un regard animal, en opposition à l’anthropocentrisme. C’est ainsi qu’à Cannes, en 2022, le cinéaste Jerzy Skolimowski a présenté son film Eo. Inspiré du film de Robert Bresson Au hasard Balthazar (1966), qui raconte les mésaventures d’un âne vendu à un cirque, Eo n’est pas un remake ordinaire : le cinéaste a choisi de raconter l’histoire du point de vue de l’âne.

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De même, dans le documentaire Cow (2021), la réalisatrice Andrea Arnold fait le pari d’un film sans paroles, qui rend compte de la manière dont la vache perçoit son environnement. Des tentatives audacieuses qui s’inscrivent dans un véritable changement dans notre manière de considérer le monde animal. La philosophe Vinciane Desprets, autrice d’Autobiographie d’un poulpe (Actes Sud, 2021) et pionnière sur cette question, analyse ainsi : « Dans les années 1960, quand National Geographic et Disney ont commencé à produire des documentaires animaliers, ils se sont aperçus que le public était beaucoup plus intéressé quand on leur parlait d’un individu, plutôt que d’un groupe. Ils avaient vraiment envie de comprendre ses émotions, ses réactions. »

Vinciane Desprets explique que cette personnalisation s’est poursuivie avec les travaux des éthologistes et les mouvements en faveur du bien-être animal, qui ont énormément fait pour informer le grand public. Selon elle, l’animal gaze vient compléter de manière salutaire les avancées de la science : « Sur la question animale, il faut abandonner l’idée d’un savoir totalisant et reconnaître que nous ne pouvons avoir qu’un savoir approximatif. L’art nous rappelle cette limite, à travers des productions nécessairement imparfaites, mais très enrichissantes. »

L’étrange cérémonie funèbre des pies

La vie d’une ferme à travers le regard d’une vache, d’une chienne, d’un chat, d’une pie : tel est le défi littéraire que s’est lancé Agnès de Clairville avec son roman Corps de ferme (HarperCollins, 304 pages, 19,99 euros). Cette ancienne ingénieure agronome y raconte la crise qui secoue le monde agricole. Les bêtes assistent aux drames qui parsèment la vie d’une famille d’éleveurs : difficultés économiques, infanticides, violences sexuelles. Mais les animaux ne sont pas seulement des témoins, ils ont aussi une vie propre dans laquelle nous plonge la romancière : « J’ai voulu m’inscrire dans une réalité quasi documentaire, tout en essayant de reconstituer la sensorialité des animaux. »

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