« En ville, la place, le port, le café sont des nœuds où les populations s’entrelacent naturellement »

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Avec une chute de 40 mètres de hauteur, Jewel, à l’aéroport de Changi, à Singapour, est la plus grande cascade en intérieur du monde.

Alain Damasio est écrivain, auteur de nouvelles et de romans de science-fiction, il a publié plusieurs livres, dont La Horde du Contrevent (La Volte, 2004, grand prix de l’Imaginaire 2006), Les Furtifs (La Volte, 2019, prix du meilleur livre Lire et grand prix de l’Imaginaire 2020), Vallée du silicium (Seuil, 2024).

En 2050, les deux tiers de l’humanité vivront dans des villes. Les cités pourront-elles absorber cette masse humaine pour vivre mieux ou seront-elles des machines à broyer l’humain ?

Quand on voit les mégalopoles qui explosent à 25-30 millions d’habitants, on se dit qu’il existe vraiment un enjeu d’envergure. A ces niveaux d’extension urbaine, et souvent de densité, la conjuration des espaces sauvages, au moins naturels, devient telle qu’on empêche tout ressourcement possible : tous les horizons sont coupés, les circulations hachées, les corps contraints, la pollution maximale. La vitalité en est broyée. Les villes sont devenues des biotopes « humains, trop humains ». Elles sont intégralement paramétrées pour notre espèce, à l’exclusion de toute autre. La confrontation, hautement féconde, au vivant végétal ou animal est asséchée : tout ce qui n’est pas « nous » est étiqueté « nuisible ». Les rats recyclent les déchets ? On les éradique. Les feuilles tombent ? On les jette à la benne. A mes yeux, la vitalité humaine dépend d’un rapport nourri à l’altérité. En se restreignant à l’inter-humain strict, on s’étouffe.

Cet article est tiré du « Hors-Série Le Monde : Réinventons la ville », septembre 2024, en vente dans les kiosques ou sur le site de notre boutique.

Enfin, on ne pense pas assez au sol. Le fait que le sol en ville soit couvert d’une nappe d’asphalte, qui ne respire pas, montre qu’il n’y a plus de rapport possible à la terre. Nous sommes à la fois coupés du sol et du ciel : on ne distingue plus la voûte étoilée, on ne marche plus sur un sol qui bruisse, et toute rivière est recalibrée vers l’incision. Rien n’incarne mieux la pulsion terraformatrice de l’homme que la ville.

Pourquoi dites-vous que « San Francisco est la ville où le futur se conjugue au présent » ?

C’est une expression banale là-bas qui signifie que nous sommes au « centre du monde » qui se fabrique et qui est en train d’arriver. Les habitants de la Silicon Valley sont des technophiles spontanés. Ils bêta-testent en permanence les nouvelles technos, si bien qu’ils ont dix ans d’avance sur nous. Ici à Paris, certains portent des bijoux connectés ou une Apple Watch : ça reste modeste. En Californie, c’est presque la norme. Un salarié des Gafam [acronyme des géants du Web : Google – Alphabet –, Apple, Facebook – Meta –, Amazon et Microsoft] conjugue déjà au présent ce qu’ils nous vendront dans le futur. La voiture autonome roule déjà dans San Francisco alors qu’on la verra en France dans dix ans, au mieux. Un ami, expert dans la gestion de cloud, est parti à San Francisco pour financer sa start-up. Après deux rendez-vous, on lui a dit : « En France, pour ce que vous faites, il existe dix clients, pas plus… Ici, il y a 2 500 sociétés qui peuvent être intéressées… »

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