En Russie, féminiser les noms, premier pas vers « l’extrémisme LGBT » pour la Cour suprême

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LETTRE DE MOSCOU

Des militants LGBT brandissent leurs drapeaux lors d’un rassemblement pour annuler les résultats du vote sur les amendements à la Constitution à Moscou, en Russie, le 15 juillet 2020.

Etes-vous de ceux qui écrivent « professeure » plus volontiers que « professeur » ? Dites-vous « agricultrice » plutôt qu’« agriculteur », sans même y penser… Vous voilà sur une pente dangereuse, qui conduit droit à l’extrémisme et, de là, à la prison. La Haute Ecole d’économie, l’une des principales universités de Moscou, a d’ailleurs interdit à ses étudiants, mardi 23 janvier, d’employer dans leurs communications écrites le moindre substantif féminisé.

Cette prudence est l’une des nombreuses conséquences de la décision de la Cour suprême russe de classer comme « extrémiste » un hypothétique « mouvement civil international LGBT ». Ce jugement, qui remonte au 30 novembre 2023, avait laissé perplexes les juristes, bien en peine de savoir à quelle structure la Cour pouvait bien faire référence, et quelles pouvaient être ses motivations.

Or voilà que la décision, restée jusque-là secrète, vient d’être publiée, à l’occasion des premières poursuites pour « extrémisme » lancées dans la région de Saratov, contre une jeune femme accusée d’avoir publié un drapeau arc-en-ciel sur Instagram, un mois avant la décision de la Cour. Obtenu par les avocats de la prévenue, ce texte de 19 pages a ensuite été publié par un site local de Saratov avant d’être plus largement repris. Quoique plein d’emprunts à Wikipédia, il offre un riche aperçu de la vision du monde qui est celle des hiérarques du régime russe.

Pour le juge Oleg Nefedov, qui signe ce texte, « le mouvement international LGBT » est né dans les années 1960 aux Etats-Unis, à la fois comme « instrument de politique étrangère » et comme « moyen de limiter la natalité et de nuire aux valeurs familiales traditionnelles ». Ce mouvement, qualifié d’« idéologie de destruction », se serait ensuite implanté en Russie en 1984. Si cette datation n’est pas explicitée, la Cour se montre très précise sur l’ampleur de cette présence : en 2024, selon elle, le « mouvement LGBT » est actif « dans soixante régions » de la Fédération de Russie.

« Une menace pour la démographie du pays »

« Les partisans du mouvement ont des caractéristiques communes, écrit encore la Cour, dans un style qui fleure bon l’anthropologie de la fin du XIXe siècle. Ceux-ci partagent certaines coutumes et traditions (par exemple les gay prides), un mode de vie (notamment dans le choix particulier de leurs partenaires sexuels), des intérêts spécifiques et un langage spécifique (l’utilisation de substantifs féminisés, tels que dirigeante, réalisatrice ou autrice). »

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