En Ouganda, le « Mouvement MK » prépare la candidature du fils du président Yoweri Museveni

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L’élection présidentielle en Ouganda n’est pas prévue avant 2026, mais déjà les partisans du général Muhoozi Kainerugaba, fils de l’inamovible chef de l’Etat, Yoweri Museveni, multiplient les meetings. Après Kabale (sud), Masindi (centre) ou encore Bundibugyo (ouest), c’est dans la ville de Fort Portal (ouest) que le « Mouvement MK » a inauguré, dimanche 14 mai, son dernier comité régional.

« Nous tâtons le terrain », explique Balaam Barugahara Ateenyi, nommé vice-président du groupe pour l’ouest du pays. Soutien de longue date du National Resistance Movement (NRM), le parti présidentiel, l’homme d’affaires a longtemps participé à l’organisation des réunions publiques du chef de l’Etat, invitant à s’y produire les chanteurs populaires avec lesquels son entreprise travaille. Désormais, c’est pour le « premier fils » qu’il mobilise ses équipements et contacts dans le monde musical.

En ligne, la « MK Army », le surnom des partisans de Muhoozi Kainerugaba, inonde les réseaux sociaux d’images de stades remplis de supporteurs arborant des tee-shirts jaunes, couleur du NRM, à l’effigie du militaire de 49 ans. Avec cette inscription : « Mon prochain président ».

« L’affluence à ces événements ne signifie pas qu’un homme politique est populaire. Les foules peuvent venir simplement pour un repas gratuit ou pour voir un artiste », nuance Moses Khisa, professeur ougandais en sciences politiques à l’université de Caroline du Nord, aux Etats-Unis. « C’est néanmoins sans précédent en Ouganda qu’un général en exercice essaie de se construire un soutien populaire en voyageant à travers le pays », souligne Kristof Titeca, professeur à l’université d’Anvers, en Belgique, spécialiste des conflits et de la gouvernance en Afrique centrale et en Afrique de l’Est.

Des publications polémiques

La loi ougandaise a beau interdire aux militaires de participer à la vie politique, plusieurs personnalités proches du régime appellent depuis plus d’un an le fils de Yoweri Museveni à prendre la place de son père. « Il a plus de partisans dans la jeunesse. Nous avons été au pouvoir pendant si longtemps avec le NRM, la meilleure alternative maintenant, c’est Muhoozi », justifie Michael Mawanda, député du parti présidentiel et l’un des membres du comité central du Mouvement MK.

Comme lui, plusieurs parlementaires affiliés au NRM ont déjà annoncé leur soutien au général et participent régulièrement aux événements de son mouvement. « Beaucoup réfléchissent à l’après-Museveni et pensent que Muhoozi va succéder à son père », estime Moses Khisa. Sur Twitter – son moyen de communication privilégié –, Muhoozi Kainerugaba a lui-même, à plusieurs reprises, fait part de sa volonté de participer au prochain scrutin présidentiel. « Rappelons à tous nos ennemis que nous nous présenterons en 2026 et qu’avec l’aide de Dieu tout-puissant, nous remporterons cette élection ! », écrivait-il le 30 mars.

Sur le réseau social, l’héritier est un habitué des publications polémiques. En octobre 2022, après un post dans lequel il affirmait que son armée pouvait s’emparer de Nairobi en moins de deux semaines, le président ougandais avait dû présenter publiquement des excuses à la place de son fils aux autorités kényanes. Quelques jours plus tard, Muhoozi Kainerugaba, nommé général, perdait sa position de commandant de l’armée de terre lors d’un remaniement impromptu, le laissant sans poste défini dans la hiérarchie des forces armées ougandaises.

« Peut-être qu’à ce moment, Muhoozi a franchi la limite : il a montré qu’il était imprévisible et qu’il ne suivait pas tous les ordres de son père. Mais il a quand même conservé une liberté dans ses prises de parole », analyse Moses Khisa. Depuis, le militaire a en effet dénigré à plusieurs reprises l’ancienne garde du NRM, se présentant comme le représentant de la nouvelle génération dans un pays où plus de 80 % de la population a moins de 35 ans et n’a connu que l’actuel président, âgé de 78 ans.

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Au pouvoir depuis 1986, Yoweri Museveni « a fait beaucoup, surtout pour combattre les rébellions et le terrorisme, mais le niveau de corruption est toujours très élevé ; Muhoozi serait plus dur sur cette question », veut croire Balaam Barugahara Ateenyi, mentionnant le récent scandale de détournement de plaques de toiture destinées à des personnes vulnérables, dans lequel sont impliqués plusieurs ministres et parlementaires.

« Le principal argument des soutiens du président a toujours été qu’il a amené la paix dans un pays longtemps ravagé par la guerre, rappelle Kristof Titeca. Mais il n’a plus beaucoup de valeur pour la jeune génération, qui veut du travail, des routes, des systèmes de santé et d’éducation décents. »

« Nous ne l’empêcherons pas »

Auparavant discret dans l’espace public, Muhoozi Kainerugaba s’est distingué ces derniers mois comme coordinateur du rapatriement des ressortissants ougandais au Soudan après le début des combats, inspecteur des routes de la capitale, Kampala, à suite d’une campagne populaire de critiques de leur état sur les réseaux sociaux, ou encore acteur principal ayant mené à la réouverture de la frontière avec le Rwanda en 2022.

Le NRM arrivera-t-il divisé à la prochaine élection ? « Si Muhoozi veut se présenter contre son père, nous ne l’en empêcherons pas », assure Richard Todwong, secrétaire général du parti au pouvoir, affirmant cependant que la majorité des militants soutiennent toujours le chef de l’Etat.

Yoweri Museveni ne s’est pas encore exprimé sur ses intentions pour 2026, mais plusieurs de ses soutiens l’appellent déjà à briguer un septième mandat, dont la vice-présidente, Jessica Alupo, et le général-major à la retraite, compagnon de guérilla du chef de l’Etat pendant les années 1980 et actuel ministre de l’intérieur, Kahinda Otafiire. En 2019, le comité central exécutif du NRM avait déjà voté une résolution déclarant le chef d’Etat comme le « candidat unique pour 2021 et au-delà ».

« Quel que soit le scénario, nous sommes à un moment très volatil de l’histoire ougandaise. Etant donné l’âge avancé du président Museveni, une transition approche à court ou moyen terme », pointe Kristof Titeca.

Le 3 mai, Muhoozi Kainerugaba et son comité central ont rencontré le chef de l’Etat dans sa résidence présidentielle à Entebbe. « Pour l’instant, le Mouvement MK est un groupe de pression. Nous sommes dans le processus de l’enregistrer officiellement », développe Balaam Barugahara Ateenyi. La première étape pour le général est de prendre sa retraite militaire : fin mars, il annonçait sur les réseaux sociaux vouloir se retirer de l’armée cette année, après vingt-quatre ans de service. Le dernier obstacle avant de pouvoir s’engager entièrement dans la vie politique.

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