En Asie du Sud-Est, des espions chinois passent à table

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LETTRE DE BANGKOK

Capture d’écran d’une émission de la chaîne Al-Jazira, consacrée à l’homme d’affaires She Zhijiang.

She Zhijiang, le fondateur chinois d’une « zone économique spéciale » à Shwe Kokko, une ville sise à l’est de la Birmanie proche de la frontière thaïlandaise, devenue un hub de la cyberfraude, a été recruté par un agent du ministère de la sécurité d’Etat chinois. C’est ce que l’intéressé a confié, en téléconférence depuis sa prison en Thaïlande, à une équipe d’Al-Jazira, la chaîne de télévision d’information du Qatar, dans un documentaire d’investigation diffusé le 26 septembre. Il lutte depuis deux ans contre son extradition vers la Chine.

Si la mobilisation des « patriotes » de la diaspora et des triades, où qu’elles se trouvent, au service du Parti communiste chinois est une vieille histoire, ces révélations confirment le jeu trouble auquel s’adonne Pékin en Asie du Sud-Est, à l’ère des « nouvelles routes de la soie », le projet phare du président Xi Jinping.

She Zhijiang est connu pour avoir fait affaire en 2017 en Birmanie avec le chef d’une milice paramilitaire locale de Shwe Kokko, enrichi par toutes sortes de trafics. Sa société, Yatai International, enregistrée à Hongkong, promet alors de lever l’équivalent de 13,55 milliards d’euros pour créer une zone économique spéciale consacrée aux « industries intelligentes ».

A l’été 2020, rien ne va plus. Des témoignages convergents décrivent les immeubles à peine sortis de terre de Shwe Kokko comme des centres de cyberfraude. Un média chinois révèle que She Zhijiang est recherché en Chine depuis 2014 pour des jeux en ligne clandestins. Et le gouvernement birman d’Aung San Suu Kyi demande des comptes à Pékin. A tel point que l’ambassade de Chine en Birmanie doit démentir toute connexion entre Yatai et la Belt and Road Initiative, le nom officiel des « nouvelles routes de la soie ».

Lire aussi le reportage : Article réservé à nos abonnés Shwe Kokko, capitale birmane de la criminalité sur Internet

En 2021, Interpol émet une notice rouge à la demande de la Chine contre She Zhijiang, et la Thaïlande l’arrête en août 2022. Entre-temps, la Chine a changé de priorités : les centres d’arnaque en ligne ciblant des Chinois depuis l’Asie du Sud-Est sont un fléau à éradiquer.

« J’obéissais aux ordres »

A la chaîne qatarie, She Zhijiang a révélé avoir été recruté fin 2016 aux Philippines par un agent du ministère de la sécurité d’Etat chinois. Celui-ci lui offre de lever les poursuites de 2014 contre lui en Chine en échange de sa coopération. Son recruteur le fait voyager au Cambodge, dont il obtient la nationalité, ainsi qu’en Birmanie. « J’obéissais aux ordres », soutient-il. Sa nationalité chinoise est annulée.

La signature de l’accord entre sa société et le partenaire local de Shwe Kokko a été organisée, dit-il, par la Fédération chinoise des entrepreneurs d’outre-mer, une organisation officielle chargée de rallier des Chinois d’outre-mer loyaux envers le parti communiste. Il en devient d’ailleurs l’un des vice-présidents. « [Mes officiers traitants] ont travaillé dur pour rehausser mon profil », reconnaît-il. Le magazine de la fédération lui consacre une couverture avec le titre : « L’histoire d’un homme sans histoire ». En novembre 2018, il fait partie des invités d’un gala officiel lors de la visite de Xi Jinping aux Philippines. Il voyage plusieurs fois en Chine. Or, dit-il, il aurait immédiatement été arrêté au passage de la frontière s’il était toujours recherché.

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