Du modèle démocratique né en Grèce à « L’Auberge espagnole », l’identité européenne commune est-elle un fantasme ou une réalité ?

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En 2002, L’Auberge espagnole, de Cédric Klapisch, sortait au cinéma. On y découvrait le quotidien parfois tumultueux d’étudiants européens en colocation à Barcelone : Xavier, le Français un peu naïf qui se rêvait écrivain, l’Anglaise Wendy, l’Espagnole Soledad, le Danois Lars… « Le film a eu un succès considérable, car il venait au bon moment, avec une résonance qui le dépassait : la colocation, c’est une métaphore de l’Europe, une mini-Europe dans un appartement », estime le réalisateur. L’idée du film est née de sa jeunesse, lorsqu’il était étudiant à New York : « Je me sentais plus proche des autres Européens, et je me suis rendu compte qu’on partageait beaucoup. Il faut être ailleurs pour se sentir européen… »

Mais existe-t-elle vraiment, cette identité culturelle commune, cette « européanité » ? Et quelles en seraient les frontières ? Par ailleurs, l’identité européenne est-elle d’abord un héritage spontané ou bien un avenir à construire ensemble sur la base d’une volonté mutuelle ? Après la chute du rideau de fer (1989), le sujet s’est avéré central lorsque, sortis du joug soviétique, les pays du bloc de l’Est sont venus sonner aux portes de l’Union. Il l’est resté lorsque la Turquie, officiellement candidate depuis 1999, a demandé son adhésion.

De fait, l’européanité, si tant est qu’il soit possible de la définir précisément, renvoie à un ensemble de valeurs et d’idées, à des manières de penser forgées au fil des siècles, mais aussi à un sentiment d’appartenance. Elle va de pair avec un rêve qui, depuis longtemps, hante l’Europe : bâtir une maison commune.

D’évidence, l’héritage culturel partagé par les Européens est d’abord le fruit d’une histoire. En 1924, dans Note (ou l’Européen), le poète et écrivain Paul Valéry faisait remonter à la Grèce antique le fondement de la pensée européenne : « Nous lui devons la discipline de l’Esprit (…). Nous lui devons une méthode de pensée qui tend à rapporter toutes choses à l’homme, à l’homme complet. » La pensée grecque, celle de Socrate, de Platon ou d’Aristote, d’Homère, d’Hérodote, de Thucydide, d’Euripide ou de Sophocle, a durablement marqué le continent – même si c’est seulement à la Renaissance que ces auteurs seront redécouverts. Et lorsque, à la fin des années 1970, la question de l’adhésion de la Grèce à la Communauté européenne se pose, le président français Valéry Giscard d’Estaing tonne : « On ne fait pas jouer Platon en deuxième division. » Les jeux sont faits : en 1981, la Grèce intègre la Communauté.

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