Livre. « L’objectif de ce livre est de démontrer que la plupart des violences sexuelles répondent à un schéma. Les prédateurs vous enrôlent dans une toile d’emprise, vous hypnotisent par leur prétendue sainteté, leur honorabilité. Avant de passer à l’acte et de vous laisser seul avec vous-même. » Gaël (le prénom a été changé), 58 ans, a été violé à plusieurs reprises par des moines d’une abbaye normande, lorsqu’il avait entre 14 et 18 ans. A l’instar de dix autres victimes de religieux, il a décidé de raconter son agression – et les conséquences de celle-ci – dans un ouvrage inédit (Quand le diable a revêtu l’habit, sous la direction de Michèle Fay et Claire Horeau, Karthala, 240 pages, 20 euros). Si certains et certaines avaient déjà témoigné au sein du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (2021), il s’agit du premier livre donnant aussi largement la parole aux victimes.
L’ouvrage, à l’initiative la Commission Reconnaissance et réparation (CRR), instance indépendante fondée en 2021 pour aider les victimes de religieux, propose ainsi une puissante réflexion sur le rôle libérateur de l’écriture. Les témoignages, qui dévoilent parfois en détail les violences subies dans leur réalité la plus crue, apparaissent pour leurs auteurs comme une manière de dépasser le traumatisme, en cherchant auprès des lecteurs une reconnaissance que l’institution ecclésiale n’a pas su leur offrir.
Au fil de ces récits, le lecteur peut éprouver un « sentiment d’effroi, voire de malaise. [La] lecture [de ceux-ci] est d’autant plus terrible qu’elle le laisse impuissant », reconnaît le magistrat Antoine Garapon, président de la CRR, dans la postface. Mais il ajoute : « Les victimes ont besoin de l’autre parce que témoigner, c’est toujours faire communauté. Le récit ne peut atteindre son effet libérateur qu’à la condition de rencontrer des lecteurs qui non seulement le liront mais le recevront pour ce qu’il est, c’est-à-dire un retour à la vie. »
« Caractère répétitif et systémique »
L’intérêt de l’ouvrage réside aussi dans le regard porté par les victimes sur l’Eglise catholique. Toutes racontent, à des degrés divers, la manière dont leur agresseur a été protégé et le manque de soutien de l’institution. Pour certains, la colère est encore vive. Pierre (le prénom a été changé), 66 ans, violé à 13 ans par un enseignant des Frères maristes, en Alsace, se dit « estomaqué par l’inertie des institutions » : « A part quelques prélats qui s’investissent et prennent des mesures de temps en temps, il ne se passe rien, et beaucoup d’agresseurs sont encore protégés. »
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