Démocratie entravée au Pakistan

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Rares sont sans doute les électeurs pakistanais à croire que les résultats des élections du 8 février permettront d’améliorer de manière significative leur vie quotidienne, et personne ne peut les en blâmer. Endeuillées par des attentats djihadistes perpétrés à la veille de l’ouverture des bureaux de vote, ces élections organisées bien après l’échéance institutionnelle, dans le cinquième pays le plus peuplé au monde, se sont en effet tenues dans un climat peu propice aux espérances.

La campagne électorale a été dominée par l’arbitraire, comme en ont attesté les sorts contraires de deux anciens premiers ministres, Imran Khan et Nawaz Sharif. En butte à l’hostilité des militaires, les véritables maîtres du pays, le premier, renversé par un vote de défiance au Parlement en 2022, croupit en prison à la suite de condamnations controversées.

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Ses partisans ont été contraints de se présenter comme indépendants, empêchés de faire campagne, et l’utilisation sur les bulletins de vote du symbole de la batte de cricket, une référence transparente à celui qui a construit sa popularité sur ses exploits sportifs, a été interdite, dans un pays affligé par un taux élevé d’analphabétisme.

Au contraire, la peine d’inéligibilité qui frappait Nawaz Sharif après des condamnations pour corruption a été opportunément levée de manière à permettre son éventuel retour au pouvoir, après un retour tout court dans son pays. Les poursuites dont il avait été l’objet avaient en effet précipité un exil à Londres pour échapper à la prison. Revenu en grâce auprès des militaires, qui avaient joué la carte Imran Khan contre lui en 2018, il pourrait s’allier dans une coalition gouvernementale avec une figure d’une autre dynastie politique pakistanaise, Bilawal Bhutto, fils de l’ancienne première ministre Benazir Bhutto, assassinée en 2007.

Frustration inédite

Ce carrousel politique, dans lequel se succèdent disgrâces et renaissances politiques au gré de la volonté d’un Etat profond en treillis, n’est pas à la hauteur des défis auxquels le Pakistan est confronté, à commencer par une crise économique alimentée par une forte inflation et un chômage élevé, alors que les finances publiques sont soutenues à bout de bras par le Fonds monétaire international, dont la dernière facilité de prêt arrivera à échéance en avril.

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S’ajoutent à ce sombre tableau les conséquences des inondations dramatiques de 2022 dont le pays ne s’est toujours pas totalement relevé, témoignages parmi d’autres des effets destructeurs des dérèglements climatiques auxquels il est particulièrement exposé. Le Pakistan ne peut plus monnayer comme par le passé, en outre, sa position stratégique après le retrait des Etats-Unis de l’Afghanistan, dont il était une porte d’entrée.

Le paradoxe de ces élections présentées comme jouées d’avance est qu’elles pourraient fragiliser leur vainqueur. Privé de la légitimité octroyée par une campagne électorale loyale et équitable, ce dernier sera bien en peine d’imposer les mesures nécessairement difficiles qui devraient être prises pour tenter de sortir le pays de cette spirale mortifère. Pour y parvenir, il faudrait sans doute commencer par tirer le pouvoir civil de l’ombre portée des militaires. Une véritable gageure à l’aune de l’histoire du pays, même si ces derniers sont désormais la cible d’une frustration inédite qui ne cesse de grandir.

Le Monde



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