Les personnes qui ont été instituées légataires, par testament, sont dans l’obligation de demander la « délivrance de leur legs » aux héritiers du défunt. Dans quel délai doivent-elles le faire, sous peine d’être déchues de ce legs ? La Cour de cassation vient de répondre de manière explicite à cette question, à l’occasion de l’affaire suivante.
Le 8 décembre 2008, Eva Rehfuss, veuve du compositeur Roger Roger, pionnier de la musique électronique, également connu sous le nom de Cecil Leuter, décède. Par testament, elle fait du chef d’orchestre Jean-Christophe Keck, musicologue spécialiste d’Offenbach, son légataire universel. Elle lui transmet le « patrimoine musical » de son époux, qu’elle lui demande de « préserver et perpétuer ».
M. Keck est donc en droit d’hériter des droits patrimoniaux sur l’œuvre du compositeur, qui représentent plusieurs centaines de milliers d’euros, mais dont François Rehfuss, fils de la défunte, se considère comme « seul titulaire ». Celui-ci va donc multiplier les procédures pour l’en empêcher.
Au pénal, il porte plainte contre X pour abus de faiblesse sur sa mère, et dénonce « l’emprise déterminante » que M. Keck aurait exercée sur elle. Ce dernier devra attendre 2019 pour être relaxé, par la cour d’appel de Lyon.
Au civil, M. Rehfuss lance une assignation « aux fins d’interprétation du testament » : il soutient que la testatrice n’a entendu transmettre au chef d’orchestre que des biens matériels (comme des instruments, des partitions ou du matériel d’enregistrement), afin qu’il les conserve en bon état. Il est débouté en première instance, le 16 avril 2013, puis en appel, le 30 janvier 2014. Il fera encore un pourvoi en cassation et une demande de révision de l’arrêt d’appel, qui seront rejetés.
Action personnelle
C’est seulement après la confirmation de la validité du legs, soit le 12 mai 2014, que M. Keck sollicite la délivrance de celui-ci. M. Rehfuss lui répond que sa demande est prescrite, car elle aurait dû être faite dans les cinq ans qui suivaient le décès, soit avant le 8 décembre 2013.
La Cour de cassation a en effet jugé, à partir de 1997, que l’action en délivrance du legs était soumise à la prescription de droit commun, alors de trente ans. Après l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, il était logique que cette action « personnelle » (c’est-à-dire qui vise à la reconnaissance d’un droit personnel) soit soumise au nouveau délai de droit de commun, de cinq ans. La Cour l’a d’ailleurs admis implicitement à partir du 30 septembre 2020. Elle a de plus précisé que l’action en nullité du testament de l’héritier « n’empêche » pas celle du légataire, et « n’en suspend pas la prescription ».
Il vous reste 29.39% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.