Comment Haïti est passé sous la coupe des gangs, en infographies

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Des membres armés du gang G9 montent la garde à leur barrage routier à Port-au-Prince, Haïti, lundi 11 mars 2024.

Les bandes armées qui sèment la terreur dans le pays le plus pauvres des Amériques, Haïti, ont fini par pousser le premier ministre, Ariel Henry, à la démission. Le chef du gouvernement a toutefois précisé lundi soir qu’il continuerait de gérer les affaires courantes jusqu’à la mise en place d’un « conseil présidentiel de transition ». Comment expliquer la mainmise des gangs dans ce pays de 11 millions d’habitants ?

Quels liens avec le pouvoir ?

Les gangs ne sont pas un phénomène nouveau en Haïti. S’ils existent depuis des décennies, ils se développent particulièrement depuis le milieu des années 1990, à la faveur de la dissolution de l’armée, décidée par le pouvoir qui craint les coups d’Etat militaires.

Pour les experts, 2018 marque toutefois le point de bascule : le gouvernement recourt alors aux bandes armées pour mater un vaste soulèvement populaire contre la corruption et pour des réformes politiques.

Les massacres qu’ils commettent révèlent alors leur « instrumentalisation par le pouvoir », explique Frédéric Thomas, chargé d’étude au Centre tricontinental (CETRI), en Belgique, interrogé par l’Agence France-Presse (AFP).

Haïti est devenu un « narco-Etat », estime Jean Marie Théodat, géographe à l’université Panthéon-Sorbonne à Paris. Ariel Henry a été « objectivement complice de la mainmise des bandits » sur le pays, poursuit-il, citant l’exemple de l’influent chef de gang, Jimmy Chérizier, surnommé « Barbecue », un ancien policier qui a pris la tête des dernières violences et menaçait récemment de déclencher une « guerre civile » si le premier ministre refusait de démissionner.

Comment se sont-ils développés ?

Pour le chercheur haïtien, « Barbecue est un Frankenstein qui s’est libéré de son maître ». Il note que des gangs, désormais plus puissants que le pouvoir politique et les forces de l’ordre, ont décidé de s’« autonomiser ».

Avec des armes venues des Etats-Unis, ces bandes prospèrent avec le trafic de drogue, le racket, les enlèvements ou les droits de passage exigés dans les territoires qu’ils contrôlent. Ils tiennent notamment « plus de 80 % de la capitale », souligne Frédéric Thomas. Leurs multiples exactions ont, selon lui, entraîné « l’effondrement des institutions publiques » et l’assassinat de Jovenel Moïse.

Ont-ils des ambitions politiques ?

« Même si Jimmy Chérizier utilise une rhétorique politique, voire révolutionnaire, [les gangs] n’ont pas de projet politique et social », souligne Frédéric Thomas. « Ce qui les intéresse, c’est le pouvoir et le contrôle des territoires », dit-il, ajoutant qu’ils n’ont aucun intérêt à promouvoir l’émergence d’« institutions fortes » et d’un « pouvoir légitime ».

Le « lâchage d’Ariel Henry par les gangsters » ne signifie pas que « Barbecue » cherche à obtenir une quelconque fonction politique, confirme Jean Marie Théodat. D’après lui, les membres des gangs cherchent à pérenniser leur domination, sans répondre aux exigences internationales ni renoncer à leurs activités lucratives.

Existe-il une alternative ?

A long terme, Jean Marie Théodat estime qu’Haïti doit davantage mobiliser ses jeunes, notamment à travers la conscription, pour renforcer les services de sécurité. Sur le terrain politique, le retour d’Ariel Henry aurait été « un pas de plus dans le chaos, un déni total du désordre provoqué par son usurpation », ajoute le géographe haïtien, qui appelle à « donner à la population l’occasion de choisir ses dirigeants ».

La réponse internationale est-elle adéquate ?

Comme l’ONU, les Etats-Unis sont favorables au déploiement d’une mission multinationale dirigée par le Kenya pour lutter contre les bandes, tout en appelant à une transition politique « urgente », mais Washington continue de miser en partie sur une classe politique « très impopulaire ». La « renforcer pour lutter contre les bandes armées », auxquelles elle est liée, est « tout à fait contradictoire », relève Frédéric Thomas.

Signe que la situation reste complexe, le Kenya a décidé de reporter le déploiement de forces prévu dans le cadre de la mission internationale. Pour Jean Marie Théodat, « toute mission étrangère susceptible de nous aider à faire face à ces bandits est la bienvenue », mais elle doit « inspirer confiance ». « Or, aujourd’hui, le peuple haïtien n’a pas vraiment choisi la main qui lui porte secours », le Kenya n’étant « pas familier » de cette région où il n’a « aucune expérience ». Et, dit-il, « que peuvent mille policiers kényans, même aidés de quelques centaines de militaires venus d’autres pays, contre des milliers de gangsters armés jusqu’aux dents ? ».

Le Monde

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