« C’est notre terre. Elle renferme les esprits de nos ancêtres, nos histoires »

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C’est un coin méconnu de Manhattan qui s’étire tout à la pointe nord-ouest de l’île new-yorkaise. Ce matin de janvier, les arbres décharnés et le ciel gris ne rendent pas justice à la beauté d’Inwood Hill quand, à la belle saison, le vert domine. Avec son relief marqué, le parc de 79 hectares abrite la dernière forêt naturelle de Manhattan, et la plus ancienne. Resté relativement intact, le site est un des rares morceaux vivants d’un New York aujourd’hui disparu, enfoui sous le bitume et les gratte-ciel. Il est cher au cœur de Joe Baker, descendant des Lenape, le peuple autochtone qui habitait la région avant la colonisation des Européens, au XVIIsiècle. « C’est notre terre ancestrale, explique-t-il. Elle renferme les esprits de nos ancêtres, nos histoires, comme toute l’île de Manhattan. »

Alors que diverses associations historiques s’apprêtent cette année à commémorer les 400 ans de l’installation des premiers colons néerlandais dans ce qui deviendra La Nouvelle-Amsterdam puis New York, Joe Baker fait partie de ceux qui se démènent pour faire entendre la voix des siens. Avec le Lenape Center, une organisation à but non lucratif qu’il a cofondée en 2009 et qu’il dirige aux côtés de Curtis Zunigha, Brent Michael Davids et Hadrien Coumans, il se bat pour affirmer la place des Lenape dans un récit raconté principalement d’un point de vue européen, ramener leur culture sur leur terre ancestrale et offrir de nouvelles perspectives aux siens.

Dans ce café de l’Upper East Side où il a donné rendez-vous, l’homme de 77 ans aux cheveux grisonnants parle à voix basse. Il décline les patronymes de ses ancêtres, parmi lesquels une longue lignée de leaders lenape, un peuple également appelé Delaware. Son aïeul, le chef White Eyes, fut parmi ceux qui négocièrent le traité de Fort Pitt, en 1778, le premier texte de paix signé par les jeunes Etats-Unis avec une nation autochtone. « Il y a dans ma famille une descendance directe qui remonte au tout début du contact avec les Européens, raconte cet artiste qui a emménagé à Manhattan en 2020. C’est grâce à elle que j’ai le privilège et l’honneur de faire le travail que je fais. Car ce que nos ancêtres ont dû affronter n’est pas sans rappeler ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui, à savoir un effacement continu et constant de notre présence à Manhattan. »

« Une vision du monde eurocentrée »

Qui sait que l’île, berceau du colonialisme néerlandais et britannique avant l’indépendance des Etats-Unis en 1776, tire son nom du lenape Manahatta ? Que la célèbre avenue Broadway, alors appelée Wickquasgeck, était une des pistes principales des Lenape ? Que Pearl Street a été désignée ainsi en raison des amas de coquilles d’huîtres abandonnées par les Lenape ? Et que pour Joe Baker et les siens, Wall Street, baptisée d’après un mur construit pour protéger la toute jeune colonie néerlandaise, est un des derniers vestiges de la violence à laquelle leurs aïeux ont dû faire face ?

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