Au Sénégal, Amadou Ba, candidat au forceps de la majorité présidentielle

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L’ancien Premier ministre Amadou Ba, candidat de l’Alliance pour la République (APR) du président sortant, lors d’un meeting de campagne, à Diourbel (Sénégal), le 19 mars 2024.

Lundi 18 mars à Kaolack, dans l’ouest du Sénégal, Amadou Ba surgit sur scène dans une ambiance survoltée. Des milliers de sympathisants acclament le candidat de la coalition au pouvoir, Benno Bokk Yakaar (BBY). Déjà dix jours qu’il sillonne le pays animé d’une ardeur nouvelle. Partout, l’ancien premier ministre, connu pour sa retenue et son air impassible, harangue les foules. A ses côtés, ministres et hauts responsables du pouvoir participent à la fête.

Après des semaines de crise suite au report de l’élection présidentielle – initialement prévue le 25 février – durant lesquelles Amadou Ba a été chahuté au sein de son camp, la machine BBY est enfin lancée. A quelques jours du scrutin, dimanche 24 mars, la coalition et ses nombreux relais à travers le pays sont mobilisés derrière leur champion. La compétition s’annonce âpre : l’ancien chef du gouvernement a face à lui 18 candidats, dont Bassirou Diomaye Faye, désigné par l’opposant Ousmane Sonko, rendu inéligible par une condamnation.

Si Amadou Ba peut désormais compter sur son camp, c’est parce que le président lui-même a commandé de resserrer les rangs. Un revirement qui s’est noué dans la nuit du 12 au 13 mars. Ce soir-là, de retour d’un meeting dans la cité religieuse de Tivaouane, où les ténors de BBY ont une fois de plus brillé par leur absence, Amadou Ba se rend au palais présidentiel, annulant l’étape de Saint-Louis prévue après la rupture du jeûne.

Plus isolé que jamais, le candidat du pouvoir doit s’entretenir avec Macky Sall. Ce dernier a-t-il donné l’ordre à ses troupes de le « lâcher » ? La question taraude Amadou Ba, d’autant que certains médias viennent de relayer l’hypothèse d’un changement de candidat au profit de Mahammed Dionne. Lui aussi ancien premier ministre, ce compagnon de route historique du président était, selon ses soutiens, « le choix du cœur » du chef de l’Etat au moment de choisir son dauphin. Finalement éconduit, il est depuis passé dans l’opposition tout en gardant une certaine influence au sein de l’Alliance pour la République (APR), le parti au pouvoir, qu’il a cofondé.

Ce climat délétère inquiète au sein de la majorité. « Il semblait clair que la défiance des anti-Ba était si ce n’est entretenue, du moins tolérée par le président. Une poignée de responsables de la coalition BBY, le fils aîné du président et un éminent guide religieux ont organisé la rencontre nocturne pour que les deux hommes se parlent », confie un conseiller informel de Macky Sall.

« Il n’y a jamais eu de consigne émanant du président ou des leaders pour qu’on se désolidarise de notre candidat », rétorque Pape Mahawa Diouf, porte-parole de BBY, pour qui les tensions du début de campagne sont liées à un souci d’organisation : « Nous étions face à un problème de transition inédit. Pour la première fois, un président sortant n’était pas candidat à sa succession. Or il est à la tête du parti et de la coalition. Et Amadou Ba n’avait pas la main sur sa majorité et son parti, ce qui a compliqué la gestion de la campagne. »

« Petite fronde »

Un recadrage était tout de même nécessaire. Dès le lendemain de sa rencontre avec Amadou Ba, le chef de l’Etat convoque une centaine de cadres du parti présidentiel. Depuis, à chaque meeting, les poids lourds de la coalition s’affichent en fervents défenseurs de leur candidat. Preuve que Macky Sall reste le donneur d’ordres de la machine BBY. « Le président n’a pas eu le choix. Il a constaté que certains ténors de la coalition jugeaient son soutien à Amadou Ba trop timoré. Il a essuyé une petite fronde », glisse Madiambal Diagne, journaliste et biographe d’Amadou Ba et de Macky Sall.

Ce soutien sera-t-il durable ? Désigné candidat après que Macky Sall a renoncé à un troisième mandat controversé, Amadou Ba a suscité dès sa nomination comme premier ministre, en septembre 2022, une levée de boucliers. Des ténors n’ont depuis cessé de le dépeindre en « traître », le jugeant illégitime à représenter la coalition, à cause notamment de son adhésion jugée tardive à l’APR. Ils reprochent également à ce haut fonctionnaire fortuné de s’être constitué un « clan dans le clan ».

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La défiance a failli virer au règlement de comptes. Accusé à la mi-janvier par le Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition) d’avoir corrompu deux juges du Conseil constitutionnel pour obtenir l’élimination de leur candidat, Karim Wade, Amadou Ba a vu une partie de son camp se liguer contre lui. Ce sont les députés de sa majorité, alliés de circonstance avec le PDS, qui ont voté la création d’une commission d’enquête parlementaire et entériné le report de la présidentielle. Une crise inédite qui a plongé le pays dans l’incertitude jusqu’à l’intervention du Conseil constitutionnel, qui a imposé la tenue du scrutin avant la fin mars.

Tout au long de cette séquence turbulente, des ténors ont maintenu la pression afin d’obtenir la tête d’Amadou Ba. Parmi ses plus virulents rivaux figure le ministre du tourisme, Mame Mbaye Niang, proche du couple présidentiel. On lui prête le rôle de porte-voix officieux du chef de l’Etat. Car malgré les sorties polémiques de son poulain, Macky Sall ne l’a jamais recadré publiquement.

« En privé, le président n’attaque jamais Amadou Ba, mais on sent une certaine méfiance envers lui. C’est irrationnel. Il y a cette contradiction à le garder tout en laissant ses porte-flingue le démolir, regrette un habitué du palais. Quant à Amadou Ba, il a péché par son manque de volonté à rassembler son camp. Même dans cette campagne, il s’est entouré de sa propre équipe, dont certains membres ne sont pas issus de l’APR. Certains craignent d’être exclus de la gestion du pouvoir en cas de victoire. »

Un duo efficace

Une ambivalence qui plane sur les relations entre les deux dirigeants depuis une décennie. En 2013, Amadou Ba, ancien directeur des impôts et domaines, entre au gouvernement. A la tête d’un ministère de l’économie et des finances aux compétences élargies, il gagne en influence au sein de l’appareil et à l’international, notamment grâce au Plan Sénégal émergent (PSE), programme de développement économique phare de Macky Sall.

Le président volontaire et son ministre pondéré forment un duo efficace. C’est le second qui supervise les négociations et les déblocages de fonds auprès des partenaires étrangers. En France, il noue des relations étroites avec ses homologues aux finances et le grand patronat. Ce réseau suscite la méfiance du palais. En 2019, son puissant ministère est scindé en deux. Lui est exfiltré au ministère des affaires étrangères. Le poste lui permet de renforcer son entregent diplomatique en Europe et aux Etats-Unis, avant d’être de nouveau limogé dix-huit mois plus tard.

Après deux années loin du pouvoir, l’ex-grand argentier est rappelé en septembre 2022. Macky Sall le nomme premier ministre, un poste qu’il avait supprimé en 2019 et qui était précédemment occupé par Mahammed Dionne. Candidat « par défaut » pour les uns, « meilleur choix » pour les autres, Amadou Ba se positionne dans la « continuité » du président. Sur une ligne de crête. « Il doit rassurer les inconditionnels de Macky Sall tout en montrant qu’il a sa propre personnalité pour s’en démarquer », explique Babacar Ndiaye, politologue au cercle de réflexion Wathi.

Dans cette élection troublée, Amadou Ba aura aussi fort à faire face à une opposition radicale portée par l’ex-Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité). Ironie de l’histoire, lors de son passage à la direction des impôts, il a noué des liens étroits avec Ousmane Sonko et son candidat, Bassirou Diomaye Faye, alors placés sous son autorité. C’est aussi une partie de leur électorat, la jeunesse défavorisée, qu’il tente de convaincre, non sans contradictions.

« En endossant le bilan de Macky Sall, qui est aussi le sien, il risque d’être le catalyseur des critiques en matière d’emploi des jeunes au moment où l’émigration a fortement repris. Par ailleurs, après trois années de troubles politiques et une soixantaine de morts, les Sénégalais ont peu goûté le report de l’élection et la loi d’amnistie, car il y a un besoin de justice. Ils pourraient le manifester », poursuit Babacar Ndiaye. A charge pour Amadou Ba d’assurer également la survie de sa coalition, tenue d’une main de fer pendant douze ans par Macky Sall.

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