Au Québec, l’humour inclusif, ça s’apprend

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Faire rire, c’est du boulot. A quelques jours de la présentation de leur spectacle de fin d’année, le 12 décembre au Club Soda, l’un des cabarets mythiques de Montréal, les étudiants de l’Ecole nationale de l’humour (ENH) peaufinent leurs sketchs. Dans une salle de répétition plongée dans l’obscurité, pour se mettre dans l’ambiance du grand soir, un couple roucoule sur une mielleuse chanson d’amour au son d’un ukulélé désaccordé. Quand, brutalement, la jeune femme rompt le charme et plante son conjoint déconfit. « Je suis lesbienne », s’exclame-t-elle en s’enfuyant avec sa « blonde » (« copine », en québécois).

L’effet de surprise fonctionne, mais, sur scène, les apprentis humoristes Audrey Saurette et Frédéric Madore réfléchissent à une manière de muscler leur chute. « Et si tu la poursuivais avec ton ukulélé, en susurrant “tu es sûre que c’est pour toujours ?” », propose un de leurs camarades. Le duo retourne en coulisses, refait son entrée et teste la nouvelle version. Adoptée à l’unanimité sous les éclats de rire et les applaudissements des deux professeurs qui encadrent la jeune troupe.

La « cuvée 2024 » des étudiants, qui sortiront de l’école en juin, est, pour la troisième année d’affilée, paritaire : six garçons et six filles entre 21 et 41 ans. La directrice, Louise Richer, fondatrice, en 1988, de ce conservatoire de l’humour unique au monde pour le diplôme d’Etat qu’il délivre, n’est pas peu fière d’avoir accompagné ce lent mouvement de féminisation d’un milieu longtemps considéré comme un boys club misogyne. Dans les années à venir, ces douze élèves sont appelés à devenir la relève sur les planches québécoises, dans une province où l’humour est devenu, à l’image de leurs sketchs, moins une morsure portée à la société qu’une introspection des tourments de chacun.

A l’entrée de l’école, les affiches des spectacles des anciens élèves.
L’actrice québécoise Louise Richer, directrice et fondatrice de l’Ecole nationale de l’humour, à Montréal, le 29 novembre.

Chevelure blanche et rire adolescent, Louise Richer, 70 ans, se remémore avec malice les inepties qu’elle a pu entendre quand l’idée lui est venue, au mitan des années 1980, de former des « professionnels » de l’humour. Dans les locaux de son établissement, perchés au septième étage d’un immeuble de bureaux sans âme, bordant un grand boulevard montréalais, mais avec vue à 360 degrés sur la ville, elle s’amuse à imiter les mises en garde des uns et des autres. « Mais, enfin, Louise, l’humour, c’est inné : on en a ou on n’en a pas ! L’humour ne s’apprend pas. » Ce à quoi la jeune Louise rétorquait inlassablement : « Et la musique, ça ne s’apprend pas ? Et la peinture, et le cinéma, c’est inné ? » « Cela dénotait surtout le manque de considération pour cet art jugé mineur, raconte-t-elle, trente-cinq ans plus tard. Il a d’ailleurs fallu attendre 2022 pour que le Conseil des arts et des lettres du Québec reconnaisse l’humour comme une discipline à part entière. »

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