Au Mali, les militaires tentent d’éteindre toute contestation en interdisant des partis politiques

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Le colonel Abdoulaye Maïga, porte-parole du gouvernement malien, lisant un communiqué à la télévision, le 31 juillet 2023.

Déjà largement malmenée depuis l’arrivée des militaires au pouvoir en 2020, la démocratie est dorénavant bel et bien enterrée au Mali. Après avoir dissous plusieurs organisations de la société civile et formations politiques jugées contestataires ces derniers mois, le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, au pouvoir depuis 2021, a suspendu mercredi 10 avril « jusqu’à nouvel ordre, pour raison d’ordre public, des partis politiques et des activités à caractère politique des associations », selon le décret pris en conseil des ministres.

Afin de réduire définitivement au silence la classe politique, la Haute Autorité de la communication a « invité tous les médias à arrêter toute diffusion et publication des activités des partis et des activités à caractère politique des associations » dans un communiqué diffusé jeudi 11 avril. L’instance chargée de réguler le paysage audiovisuel au Mali était déjà à l’origine de la suspension de diffusion de plusieurs médias, dont RFI et France 24 en avril 2022 et France 2 en février 2024.

« Les actions de subversion des partis politiques et de leurs alliés ne font que se multiplier », a expliqué le colonel Abdoulaye Maïga, porte-parole du gouvernement de transition à Bamako. Avant d’invoquer la nécessité de ne pas entretenir « la cacophonie et la confusion » à l’approche du dialogue national intermalien, un cadre de concertation visant à restaurer la paix dans un pays terrassé par l’insécurité depuis douze ans, lancé fin décembre par le colonel Goïta. Son programme a été validé fin mars, mais aucune date n’a pour l’heure n’a été fixée pour sa tenue. « On ne peut pas accepter que des forces politiques […] prennent en otage une initiative aussi salvatrice », a insisté Abdoulaye Maïga.

Fébrilité des militaires au pouvoir

En parallèle, le colonel Goïta a annoncé l’« extension du périmètre de sécurité autour de l’aérodrome militaire et [de] la poudrière principale » de Kati. La surprotection de cette ville garnison située en périphérie de Bamako et qui abrite le cœur du pouvoir malien traduit la fébrilité des militaires au pouvoir.

Ces dernières semaines, alors que les attaques commises par les groupes djihadistes ne diminuent pas et qu’en ville, une grave crise énergétique prive les Maliens d’électricité près de dix-huit heures par jour, plusieurs voix contestataires se sont fait entendre. Chose inhabituelle, une coalition nommée L’Appel du 20 février a pris la parole le 26 mars – date à laquelle la junte avait promis de céder le pouvoir à des civils élus – pour appeler à la « désobéissance civile ». Au côté de la Synergie d’action pour le Mali, un autre groupement d’organisations politiques et civiles opposées aux putschistes, L’Appel du 20 février a annoncé ne plus reconnaître l’autorité des militaires. « Les autorités prennent la démocratie en otage et ont trahi tous leurs engagements, car elles pensent que tout leur est permis. Nous n’allons plus les laisser faire », a prévenu Cheick Mohamed Chérif Koné, le coordinateur général du mouvement d’opposition.

Bâillonnées par la junte depuis son installation au pouvoir suite aux coups d’Etat d’août 2020 et mai 2021, l’opposition et la société civile sont sorties de leur silence le 31 mars en dénonçant le « vide juridique et institutionnel » dans lequel se trouve le processus de transition malien, alors que les putschistes avaient au départ promis de se retirer en novembre 2022. Dans leur déclaration commune, elles ont réclamé aux autorités une « concertation rapide et inclusive » pour la tenue de la présidentielle « dans les meilleurs délais ». Des « discussions stériles », a rétorqué le colonel Maïga.

Depuis le début de l’année, les autorités putschistes ont multiplié les dissolutions de partis et d’associations contestataires. La Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko, dont l’influence a contribué à faire tomber l’ex-président Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020, a ainsi été dissoute le 6 mars. Elle était accusée par les putschistes de s’être muée en un « organe politique de déstabilisation » représentant une « menace pour la sécurité publique ».

Le 13 mars, ce fut au tour de l’Association des élèves et étudiants du Mali, une puissante organisation, en première ligne des contestations politiques majeures de ces trente dernières années, de se voir dissoute par le gouvernement, accusée d’être responsable de violences et d’affrontements en milieu scolaire. Deux partis politiques d’opposition, la Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance d’Oumar Mariko et le Parti social-démocrate africain d’Ismaël Sacko, sont aussi actuellement sous le coup de procédures judiciaires amorcées par les autorités en vue de les dissoudre, en raison des propos de leurs dirigeants perçus comme trop critiques envers le régime.

« On est tous dans l’impasse »

Symbole du peu d’empressement de la junte à organiser, comme elle l’a pourtant promis à plusieurs reprises, des élections crédibles dans un délai raisonnable, l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance, chargé de veiller à la bonne tenue des scrutins, a lui aussi été dissous, fin décembre 2023.

Face à un tel musellement, les opposants reconnaissent disposer de peu de marge de manœuvre. « On est tous dans l’impasse », reconnaît un ancien conseiller d’Ibrahim Boubacar Keïta. Selon lui, « le régime a appliqué une stratégie militaire sur la scène politique : emprisonner certains de ses adversaires, les menacer ou les empêcher de mener leurs activités pour que tous les opposants rasent les murs et craignent de manifester dans la rue ».

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Jeudi, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a réagi en se disant « profondément préoccupé » et en demandant que le décret interdisant les partis politiques soit « immédiatement abrogé ». Le travail de cette instance sur des exactions présumées des soldats maliens au nom de la lutte contre les groupes terroristes avait été au centre des tensions entre la junte et la mission de l’ONU au Mali (Minusma). Soumise à de trop fortes pressions, celle-ci a décidé de quitter le pays en 2023, laissant les militaires maliens et leurs alliés russes du groupe Wagner œuvrer à huis clos.

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