Au Guatemala, la condamnation d’un journaliste illustre la volonté du pouvoir de museler la presse

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La presse guatémaltèque a retenu son souffle, mercredi 14 juin, alors que la juge Oly Gonzalez commençait la lecture de la sentence contre le journaliste José Ruben Zamora, accusé de blanchiment d’argent, de chantage et de trafic d’influence. Deux heures plus tard, le verdict tombait : condamné à six ans de prison pour blanchiment d’argent, l’ancien patron du journal El Periodico a été acquitté des charges de chantage et de trafic d’influence.

Certes, le plus prestigieux journaliste guatémaltèque a évité les quarante ans de prison requis par le parquet. Surtout, une ex-procureure du Parquet spécial contre l’impunité (FECI), Samari Gomez, qui était aux côtés du journaliste de 66 ans dans le box des accusés, a bien été libérée en fin de journée, après onze mois derrière les verrous. Le tribunal a considéré que le parquet n’avait pas réussi à démontrer qu’elle avait révélé des informations confidentielles à José Ruben Zamora.

Mercredi, les collègues de M. Zamora étaient unanimes à rappeler l’importance de la libération de Mme Gomez comme à dénoncer la gravité de la condamnation du journaliste : « D’abord, José Ruben Zamora reste en prison. Ensuite, le parquet a réussi à détruire le journal El Periodico, ce qui était bien sûr leur but. Enfin, ils ont bien envoyé, avec cette mascarade de justice, un message d’intimidation à tous les médias du pays », réagit Francisco Rodriguez, qui a travaillé sept ans avec José Ruben Zamora et dirige aujourd’hui le média indépendant Plaza Publica. Le journal El Periodico, fondé en 1996 par M. Zamora et qui n’était déjà plus publié que sur Internet depuis décembre 2022, a été contraint de cesser toute activité le 15 mai, en invoquant la « persécution pénale et la pression économique » exercées à son égard.

Graves abus contre sa défense

Ce procès, « le plus expéditif de l’histoire du Guatemala », comme le qualifie son fils aîné, José Carlos Zamora, a fortement marqué la profession, déjà ébranlée par de multiples attaques contre la liberté de la presse ces dernières années. Pendant ses onze audiences, le journaliste, réputé pour ses investigations sur la corruption, a été dépeint comme un « maître chanteur » qui abusait de sa position dominante. Selon la procureure Cinthia Monterroso, le journalisme d’investigation d’El Periodico n’était, en réalité, « qu’une façade pour blanchir de l’argent. Ceux qui n’acceptaient pas de financer le journal voyaient leur réputation détruite dans ses pages ».

Les anciens collègues du journaliste ont assisté, impuissants, à une série de graves abus contre sa défense tout au long du procès. « Quatre de ses avocats ont été inculpés, dont deux sont aujourd’hui emprisonnés. Deux autres l’ont abandonné après avoir été menacés, témoigne la journaliste Claudia Mendez, qui a travaillé pendant quinze ans pour El Periodico. J’ai vu lors d’une audience un nouvel avocat être désigné alors qu’il n’avait nullement étudié le dossier ni parlé à son client. » Huit anciens journalistes du média disparu vont eux aussi être jugés pour les articles qu’ils ont écrits sur le procès de leur patron. Sans surprise, le parquet a fait appel de la condamnation, jugée bien trop faible par Rafael Curruchiche, le chef du Parquet spécial contre l’impunité.

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