Dans la longère où vit Isabelle Bernard, dans un village à quelques kilomètres d’Arras, il y a une pièce sanctuaire, où, depuis octobre 2023, rien n’a bougé. C’est le cabinet de travail de son mari, Dominique, un bureau étroit tapissé de livres du sol au plafond. Il y a de tout, des romans, de la poésie, du théâtre, des classiques et des modernes. Toujours choisis avec goût. Le professeur de lettres aimait les livres par-dessus tout. En vacances, il en choisissait un pour faire la lecture à son épouse. Des moments précieux et cristallins comme la langue de Racine, sensuels comme les poèmes de Baudelaire.
« Les livres, c’était essentiel pour lui, pour nous. Il m’a permis de lire les plus beaux textes qui soient. Nous lisions à voix haute, raconte Isabelle Bernard. Il m’a donné le goût des livres et je pense qu’il l’a aussi donné à ses élèves. Il passait son temps à sa table de travail. » Fines lunettes, taches de rousseur sur une peau de porcelaine, elle a le teint d’une Anglaise, comme la langue qu’elle enseigne. Après l’attentat, elle n’a rien voulu toucher au « cabinet de travail » de son mari. Une chemise lui appartenant est déposée sur le dossier de sa chaise de travail, comme une présence apaisante.
Par la fenêtre, on a vue sur le jardin, ses arbres majestueux, son poulailler et son bassin, que Dominique Bernard venait tout juste de creuser. Isabelle Bernard a tenu à le terminer, le mettant en eau, le décorer en plantant des fleurs tout autour. Des poissons tournent sous les reflets changeants du ciel du Nord. « En été, il aimait consacrer du temps au jardin, se souvient-elle. C’est lui qui l’a composé pour qu’il y ait des fleurs toute l’année. » Sa voix est précise, solide et ténue à la fois, vivante surtout. Isabelle Bernard a traversé des moments difficiles, en traverse encore et en traversera toujours. Mais jamais sa douleur n’a emporté le dessus, ni la colère. Elle parle d’une voix posée, presque enjouée lorsqu’il s’agit de convoquer le souvenir de son mari.
Passeur de savoirs
« Il s’intéressait aussi à l’actualité, au cinéma, à la philosophie, à la cuisine, dit-elle de lui. Il cherchait toujours de nouvelles recettes, il avait une grande curiosité. C’était un homme très cultivé. Il aimait la peinture, la musique, la littérature. » Fils d’une institutrice, il avait passé un bac scientifique avant de s’orienter vers des études littéraires par goût. Il a passé son agrégation de lettres modernes à l’université de Lille, où il avait fondé une troupe de théâtre dans sa jeunesse. Pour y jouer Les Justes, de Camus.
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