Au Brésil, la terre promise de l’Amazonie n’a pas tenu ses promesses auprès des paysans

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Face aux morts, on dit qu’il existe deux types de silence : celui du respect et celui de l’oubli. A Eldorado do Carajás, en Amazonie brésilienne, difficile de savoir lequel prédomine. Le long d’une courbe de la route BR-155, en cette fin janvier, une quinzaine de croix reposent dispersées dans les herbes folles. Certaines sont ceintes d’un ruban rouge aux tons de sang délavé. Un chien dort, des camions passent… Quand soudain, sorti de nulle part, apparaît un gamin à boucles blondes, pieds et torse nus. « Ici, il est mort un paquet de gens », confie-t-il, un doigt sur la bouche, avant de s’éclipser. Comme après avoir révélé un lourd secret.

« Un paquet de gens » ? Dix-neuf, exactement : assassinés ici même le 17 avril 1996. Des centaines de paysans pauvres campent alors dans ce coin perdu du sud-est du Pará, cet Etat brésilien vaste comme deux fois la France. Hommes, femmes, vieillards et enfants bloquent la route : ils prévoient de se rendre à Belém, la capitale de l’Etat, pour revendiquer leurs droits sur des terres inexploitées. Mais rapidement les forces de l’ordre débarquent, encerclent les manifestants. Le bain de sang commence… Plusieurs victimes sont exécutées à bout portant d’une balle dans le dos, d’autres sont mutilées à coups de machette ou de faucille. On relève plusieurs dizaines de blessés.

Aujourd’hui, le monument en mémoire des victimes du massacre d’Eldorado semble à l’abandon. Erigé peu de temps après le drame, ce dernier est l’œuvre du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST), plus grande organisation militante d’Amérique latine, né en janvier 1984, et qui se bat depuis quarante ans pour une répartition plus juste des terres en occupant des surfaces agricoles et de grandes fermes laissées à l’abandon par leurs propriétaires.

Une guerre pour la terre

Outre les croix, une maisonnette aux murs vermeils et à la porte cadenassée sert de lieu de recueillement. Par la fenêtre, on aperçoit une fresque aux allures de Guernica brésilien, avec des policiers qui mitraillent, des familles éplorées et un homme à genoux troué d’une balle. A l’extérieur, une plaque rappelant la tragédie s’achève par une bien étrange question : « Les noyers se souviennent. Et vous ? »

Le noyer, c’est l’arbre emblématique de l’Amazonie. Avec ses 50 mètres de haut et ses 500 ans d’espérance de vie, il est comme la vigie de la grande forêt, le gardien de sa mauvaise conscience. Le témoin silencieux des massacres qui frappent sans trêve cette région du monde. Car le « poumon de la planète » n’est pas que le siège du génocide des indigènes et de la destruction effrénée de la nature. C’est aussi, et depuis des décennies, le théâtre d’un autre drame silencieux et sanglant : celui de la guerre pour la terre. Un conflit, avec ses batailles, ses soldats en armes et ses victimes civiles – près de mille cinq cents en quatre décennies.

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