« Annoncer l’éradication par la force des points de deal ne suffit pas pour lutter contre la violence des trafiquants de cocaïne »

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Les marchés à ciel ouvert de drogues illicites se multiplient en France. La proportion d’initiés à la cocaïne est aujourd’hui deux fois plus importante qu’il y a dix ans parmi les 15-30 ans, selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). Alors que la France figure dans le groupe des cinq pays européens les plus consommateurs de cocaïne, les problèmes d’ordre public et de violences criminelles la frappent de plein fouet. A Marseille, en 2023, on compte 47 homicides. Il s’agit d’un chiffre sans précédent. Et la France n’est pas une exception. Le sociologue suédois Manne Gerell observe que « la violence armée dans deux grandes villes suédoises, Stockholm et Malmö, est fortement concentrée sur les marchés de la drogue en plein air ».

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Bien que les drogues légales que sont l’alcool et le tabac coûtent plus cher à la société que les drogues illégales et la lutte contre la violence des marchés à ciel ouvert, on comprend que les responsables politiques soient tentés d’annoncer l’éradication par la force de ces points de deal, au nom de la morale et de la loi – même si cela ne suffit pas pour lutter contre la violence des trafiquants de cocaïne. Le but est clair : perturber l’approvisionnement pour réduire les troubles en public et décourager l’usage de ces produits.

Ce type d’action permet aux ministres de l’intérieur d’afficher leur volontarisme. Face à la drogue, Nicolas Sarkozy voulait en 2005 passer les banlieues « au Kärcher » : 250 CRS et policiers ont investi le quartier de la Castellane, dans le nord de Marseille. En 2013, Manuel Valls a lancé sa « stratégie de reconquête républicaine ». A la Castellane, 200 policiers ont alors interpellé 23 personnes, saisi des armes, 1 million d’euros en cash. Le ministre se félicite « des résultats obtenus ». Gérald Darmanin engage maintenant une « guerre à la drogue » et crie victoire : début 2024, 1 000 « points de deal ont été démantelés », soit un sur cinq.

La concurrence ravivée

La détermination affichée, assortie d’une indignation morale, puis le triomphe devant les caméras relèvent avant tout d’une stratégie de communication. Il faut, d’une part, veiller à préserver la réputation du ministre, et, d’autre part, élément essentiel de la politique, il faut convaincre que la police est à la drogue ce que saint Georges est au dragon : la force qui va le terrasser.

De leur côté, les analystes soulignent au contraire la difficulté à fermer les marchés de la drogue à ciel ouvert en raison de trois singularités. D’abord, les drogues illicites ont une valeur énorme par rapport à leur poids. Les trafiquants peuvent donc se permettre d’utiliser des méthodes sophistiquées pour dissimuler et transporter des quantités modestes. Ensuite, les marchés sont généralement caractérisés par des entreprises individuelles de petite taille, non intégrées verticalement et technologiquement peu sophistiquées. La fragmentation et la rusticité des entreprises chargées de la distribution leur assurent une grande résilience face aux coups portés par les autorités.

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