Alexeï Navalny enterré à Moscou, en présence de milliers de ses partisans

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Alexeï Navalny, opposant russe à Vladimir Poutine empoisonné, condamné et mort en prison, a été enterré vendredi 1er mars sous haute surveillance policière, après un service religieux dans une église orthodoxe du sud de Moscou, dans un quartier où il vivait jadis avec sa famille. La police russe a procédé à au moins quarante-cinq interpellations lors de rassemblements en hommage à Alexeï Navalny, selon l’ONG spécialisée OVD-Info. Six de ces personnes ont été arrêtées à Moscou, les autres interpellations s’étant produites dans d’autres localités, dont Novossibirsk, en Sibérie occidentale, ainsi que dans la région de Voronej.

Venus en nombre avec des fleurs, pour certains en pleurs ou avec les larmes aux yeux, les Russes présents ont scandé « Non à la guerre !  », « Nous ne t’oublierons pas ! » ou encore « Nous ne pardonnerons pas ».

Après une courte cérémonie dans une église en présence notamment de ses parents, lors de laquelle la dépouille d’Alexeï Navalny a été exposée à cercueil ouvert selon le rite orthodoxe, l’opposant a été mis en terre au cimetière de Borissov, dans le sud-est de la capitale. Au moment de l’enterrement a retenti la bande-son du film Terminator 2, qui était selon l’opposant le « meilleur film jamais réalisé », a expliqué sa porte-parole, Kira Iarmych.

Sous les applaudissements de la foule

Dans l’église, son corps a été montré pour la première fois au public, couvert de dizaines de fleurs rouges et blanches, tandis que les personnes présentes tenaient des cierges. Ceux ayant réussi à entrer dans la petite église ont pu voir le visage blême et aux traits déformés d’Alexeï Navalny. Le corbillard transportant son cercueil était arrivé quelques instants plus tôt, sous les applaudissements de la foule.

Lors de la cérémonie d’adieu à l’opposant russe Alexeï Navalny à l’église de l’icône Notre-Dame, à Moscou, le 1ᵉʳ mars 2024.

A l’extérieur de l’église, une importante foule de plusieurs milliers de personnes s’est rassemblée, formant une très longue queue. La police antiémeute était présente en nombre et a parsemé la zone de barrières.

« C’est douloureux, des gens comme lui ne devraient pas mourir, des gens honnêtes, avec des principes, prêts à se sacrifier », témoigne Anna Stepanova, en soulignant aussi « le sens de l’humour » de l’opposant. « Même en souffrant, il faisait des blagues. »

Un prêtre orthodoxe se recueille à côté du corps d’Alexeï Navalny, au cimetière de Borissov, dans le quartier de Marino, à Moscou, le 1ᵉʳ mars 2024.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a, lui, averti de potentielles sanctions en cas de participation à toute manifestation « non autorisée » à l’occasion de ces funérailles. Lors de sa conférence de presse quotidienne, M. Peskov a aussi affirmé qu’il n’avait « rien à dire » à la famille du défunt.

La veuve d’Alexeï Navalny, Ioulia Navalnaïa, a remercié son mari pour « ces vingt-six années de bonheur absolu », dans un message d’adieu posté sur les réseaux sociaux. « Je ne sais pas comment je vais vivre sans toi, mais je vais faire de mon mieux pour que là-haut tu sois heureux et fier de moi, a-t-elle dit. Je t’aime pour toujours. »

Présence d’ambassadeurs

Principal détracteur du Kremlin et charismatique militant anticorruption, Alexeï Navalny est mort le 16 février à l’âge de 47 ans dans une colonie pénitentiaire russe de l’Arctique, où les tortures sont routinières, dans des circonstances qui restent obscures. Ses collaborateurs, sa veuve et les Occidentaux ont accusé Vladimir Poutine d’être responsable de sa mort, ce que le Kremlin rejette.

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Après avoir tardé à remettre le corps de M. Navalny à ses proches, les autorités russes s’y sont finalement résolues le week-end dernier, permettant des funérailles. L’ambassadrice américaine et les ambassadeurs français et allemand se sont rendus sur place, ainsi que trois figures de l’opposition encore en liberté : Evguéni Roïzman, Boris Nadejdine et Ekaterina Dountsova.

Selon Maxime, un informaticien de 43 ans venu rendre hommage à l’opposant, Alexeï Navalny a « montré la liberté ». Denis, 26 ans, bénévole dans une association caritative, salue, lui, un homme grâce auquel il s’est « intéressé à la politique », dans un régime de plus en plus autoritaire où le désintérêt des jeunes pour les questions politiques est très fort.

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Rassemblements gênants pour le pouvoir

Depuis la remise du corps d’Alexeï Navalny à sa mère samedi, l’équipe de l’opposant cherchait un lieu pour un « adieu public » mais voyait « rejetée » toute demande, accusant les autorités de faire pression sur les gérants.

Des policiers antiémeute gardent la zone près de l’église où devait avoir lieu la cérémonie funéraire d’Alexeï Navalny, à Moscou, le 1ᵉʳ mars 2024.

Elle avait malgré tout appelé les Moscovites à venir faire leurs adieux à Alexeï Navalny, et ses soutiens dans les autres villes et à l’étranger à se rassembler devant des mémoriaux pour honorer sa mémoire.

Des rassemblements qui pouvaient être gênants pour le pouvoir, deux semaines avant le premier tout de l’élection présidentielle (du 15 au 17 mars) censée prolonger le règne de Vladimir Poutine au pouvoir. Près de quatre cents personnes ont été arrêtées par la police dans les jours qui ont suivi la mort de l’opposant, lors de rassemblements improvisés en sa mémoire.

Ioulia Navalnaïa a regretté jeudi qu’aucune cérémonie civile n’ait été autorisée pour permettre l’exposition du corps à un plus large public, comme c’est souvent le cas après le décès de grandes personnalités en Russie. « Les gens au Kremlin l’ont tué, puis ont bafoué son corps, puis ont bafoué sa mère, et maintenant bafouent sa mémoire », a-t-elle fustigé, accusant Vladimir Poutine et le maire de Moscou, Sergueï Sobianine, d’être responsables de cette situation.

Avant son empoisonnement, en 2020, auquel il avait survécu de justesse et dont il accusait Vladimir Poutine, puis son arrestation et sa condamnation à dix-neuf ans de prison pour « extrémisme », Alexeï Navalny parvenait à mobiliser des foules, en particulier dans la capitale russe.

Son mouvement, qui s’appuyait sur des enquêtes dénonçant la corruption des élites russes, a été méthodiquement démantelé au cours des dernières années, et nombre de ses collaborateurs ont été envoyés derrière les barreaux ou en exil. Après la mort de son mari, Ioulia Navalnaïa a promis de poursuivre son combat.

Le Monde avec AFP

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