A Rhodes, la diaspora juive ­entretient le souvenir d’une communauté décimée

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Sami Modiano, 94 ans, rescapé de la Shoah, à Rhodes, le 17 juillet. Le 23 juillet 1944, alors âgé de 14 ans, il faisait partie du dernier convoi parti de l’île sous domination italienne.

« On m’a souvent dit : “Toi, tu es revenu vivant des camps, tu as survécu.” Mais, non, je n’ai jamais quitté Auschwitz-Birkenau, je suis encore là-bas avec les autres, avec mon père, ma sœur », souligne, d’une voix douce, Sami Modiano, rescapé de la Shoah. Près de deux cent cinquante descendants de Juifs de l’île grecque de Rhodes ont fait le déplacement du monde entier pour participer à la 80e commémoration de la déportation de cette communauté séfarade. Celle-ci s’était installée sur ce territoire qui a longtemps appartenu à l’Empire ottoman après son expulsion d’Espagne, au XVe siècle. Tous écoutent avec attention Sami Modiano.

Ce 18 juillet, le vieil homme fête ses 94 ans. L’émotion de l’adolescent de tout juste 14 ans déporté à Auschwitz après un mois de trajet reste vive. Le 23 juillet 1944, Sami Modiano faisait partie du dernier convoi parti de l’île sous domination italienne depuis 1912. Des larmes sur les joues, il partage en quatre ­langues (grec, français, italien et ladino, une langue en voie de disparition alors parlée par les Juifs de Rhodes) ses souvenirs – « une joie et une souffrance en même temps », confie-t-il.

Sur son bras gauche, le matricule B7456 est ­désormais difficilement déchiffrable. « Un seul numéro me séparait de mon père. Pourquoi, ai-je survécu ? Je me suis posé cette question pendant longtemps », note-t-il. Mais, en 2005, il accompagne un voyage scolaire à Auschwitz et trouve sa réponse : « Les enfants m’ont donné la force de sortir de mon silence. À ­partir de ce moment-là, je me suis fixé pour mission de transmettre mon histoire pour qu’on n’oublie jamais ce qui s’est passé. Tant que je pourrai, je parlerai aux nouvelles générations. Il ne faut jamais qu’elles vivent les horreurs que nous avons vécues. »

Après la projection d’un documentaire consacré à sa vie, les applaudissements se mêlent aux pleurs. A Rhodes et parmi les Rhodeslis (le nom donné aux Juifs de Rhodes), tout le monde sait qui est Sami Modiano : il est le ­dernier survivant connu d’une communauté qui comptait presque deux mille membres avant leur déportation par les nazis. Moins de deux cents d’entre eux ont survécu aux camps de la mort. Ils ne sont pas retournés vivre à Rhodes, placée sous protectorat britannique puis sous souveraineté grecque. Eux avaient alors la nationalité italienne et ont été rapatriés en Italie.

Faire revivre la vie juive d’antan

C’est le sort qu’a connu la mère d’Isaac Habib après sa déportation à Bergen-Belsen, en Allemagne. A la Libération, cette Rhodesli est recueillie dans la péninsule par une professeur qui retranscrit son récit. Puis, en tentant de rejoindre le Zimbabwe, où habitaient ses deux sœurs, elle tombe amoureuse au Congo belge d’un Juif qui avait fui l’île en 1937. Leur fils, âgé de 73 ans, vit aujourd’hui au Cap, en Afrique du Sud. Mais, cinq mois par an, Isaac Habib revient sur la terre de ses ancêtres pour faire revivre la vie juive d’antan, lors de circuits organisés par la communauté. Dans le quartier de la Juderia, au cœur de la cité médiévale qui porte le nom de l’île, il retrace cette histoire pour les visiteurs : « Au début des années 1940, 80 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté. Une partie s’était déjà expatriée en Afrique ou aux Etats-Unis. »

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