A quoi sert la Cour internationale de justice, qui a examiné une plainte pour génocide contre Israël ?

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La Cour internationale de justice examine à La Haye (Pays-Bas), vendredi 12 janvier, la plainte de l’Afrique du Sud contre Israël pour « génocide à Gaza ».

La Cour internationale de justice (CIJ) a examiné, jeudi 11 et vendredi 12 janvier, la plainte pour génocide déposée par l’Afrique du Sud contre Israël. Pretoria avait saisi, le 29 décembre 2023, la plus haute instance judiciaire des Nations unies, affirmant que les opérations militaires à Gaza en représailles à l’attaque du 7 octobre « revêtent un caractère génocidaire, car ils s’accompagnent de l’intention spécifique requise de détruire les Palestiniens de Gaza ». Des accusations « totalement dénaturées », et « une description délibérément organisée, décontextualisée et manipulatrice de la réalité des hostilités actuelles », s’est défendu Israël vendredi devant la CIJ.

Dans sa requête, l’Afrique du Sud a également saisi en urgence la CIJ pour lui enjoindre de prendre des « mesures conservatoires » afin de suspendre au plus vite les bombardements israéliens dans l’enclave palestinienne, qui ont causé au moins 23 000 morts en trois mois, selon le ministère de la santé dirigé par le Hamas.

Mais quel est le pouvoir de la Cour internationale de justice ? Et quelle est sa spécificité par rapport à la Cour pénale internationale ?

Qu’est-ce que la Cour internationale de justice ?

Etablie à La Haye (Pays-Bas), la Cour internationale de justice est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations unies (ONU). Elle a été instituée au lendemain de la seconde guerre mondiale, en juin 1945, et s’est réunie pour la première fois le 18 avril 1946. Sa mission est de répondre à l’un des buts premiers de l’ONU : régler les différends entre Etats avec des moyens pacifiques, tout en veillant au respect des principes de la justice et du droit international.

La CIJ est composée de quinze juges, élus pour un mandat de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations unies. Ils sont amenés à se prononcer sur des litiges autour des diverses questions de souveraineté, d’environnement, d’incidents aériens, de navigation maritime, de génocide, etc.

Au cours de son histoire, la CIJ a statué sur les essais nucléaires français dans le Pacifique en 1974, la prise d’otages à l’ambassade américaine à Téhéran en 1980 ou les accusations de génocide en ex-Yougoslavie en 1996. Plus récemment, en 2023, elle a examiné un contentieux autour de la délimitation géographique du plateau continental situé entre le Nicaragua et la Colombie.

Quelle différence avec la Cour pénale internationale ?

Les champs d’action de la Cour internationale de justice la distinguent d’autres juridictions internationales. Elle ne peut pas être saisie par un particulier, ni par une ONG, mais seulement par les Etats eux-mêmes. Elle n’est pas compétente pour juger des individus accusés de crimes de guerre, ou de crimes contre l’humanité. L’instance judiciaire n’est pas non plus une juridiction pénale, et ne nomme pas de procureur pour engager des poursuites.

Elle diffère en cela de la Cour pénale internationale (CPI), également basée à La Haye, et sans doute davantage médiatisée. Créée en 1998 sous l’impulsion de l’ONU, dont elle est toutefois indépendante, la CPI enquête, engage des poursuites et juge depuis 2002 des personnes accusées des crimes les plus graves touchant la communauté internationale : génocide, crimes contre l’humanité, crimes d’agression et crimes de guerre. Régie par le statut de Rome ratifié par 123 pays, la CPI ne peut poursuivre que des personnes physiques, et non pas des Etats.

Comment fonctionne la CIJ ?

Il existe deux types de procédures devant la Cour internationale de justice :

  • Les « procédures contentieuses » : c’est dans ce cadre que l’instance règle les différends entre Etats. Comme le traité qui crée la CIJ est annexé à la charte des Nations unies, ses 193 Etats-membres ont accès à cette juridiction – d’autres Etats peuvent également y avoir accès, mais sous d’autres conditions. Mais pour qu’une affaire puisse être soumise aux juges de La Haye, seuls les Etats qui ont reconnu sa compétence peuvent se présenter devant elle. Les arrêts rendus par la Cour sont définitifs et sans recours (sauf exceptions). Selon l’article 94 de la Charte des Nations unies, « chaque membre des Nations unies s’engage à se conformer à la décision de la Cour internationale de justice dans tout litige auquel il est partie ».
  • – Les « avis consultatifs » : la Cour peut également donner des avis consultatifs sur les questions juridiques que lui posent les organes de l’ONU (Assemblée générale, Conseil de sécurité) ou d’autres institutions internationales apparentées (Unesco, OMS, FIDA, etc.).

En 2003, lors de la deuxième Intifada, l’Assemblée générale avait sollicité la CIJ pour connaître les conséquences juridiques de l’édification d’un mur par Israël dans les territoires palestiniens occupés. Dans l’avis rendu un an plus tard, les juges ont considéré que cette décision était contraire au droit international et qu’Israël devait cesser cette édification. Mais le pays a poursuivi la construction du mur, faisant fi de cet avis. Et ce n’est pas une exception : plusieurs décisions ne sont pas exécutées, même si, dans les différends territoriaux ou frontaliers, les Etats appliquent tout de même plus volontiers les arrêts de la CIJ.

Le Monde

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La Cour ne dispose en effet d’aucune force d’exécution pour les faire appliquer. « En droit international, les moyens coercitifs, c’est difficile parce que les Etats sont souverains et ne supportent pas des contraintes qui leur sont imposées », explique Pierre Bodeau Livinec, directeur du Centre de droit international de Nanterre (Cedin) de l’université Paris-Nanterre.

Le juriste tient toutefois à rappeler « l’importance de la qualification en droit » : « Dans le cadre de la requête sud-africaine, même si cette procédure va s’étirer dans le temps, on imagine que c’est essentiel pour Israël de savoir s’il est qualifié d’Etat qui a commis un génocide ou non. » Et d’ajouter que les décisions de la CIJ, parce qu’elles font autorité dans le droit international, peuvent influer dans les négociations diplomatiques.

Dans quel cadre l’Afrique du Sud a-t-elle saisi la CIJ ?

Dans sa requête déposée le 29 décembre devant la Cour internationale de justice, le gouvernement sud-africain détaille longuement les raisons qui le conduisent à porter des allégations de génocide à l’encontre d’Israël. Il invoque des manquements de l’Etat hébreu « à son obligation de prévenir le génocide, ainsi qu’à son obligation de punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide », qui figurent dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide qu’Israël, comme l’Afrique du Sud, a ratifié.

Cette Convention, adoptée le 9 décembre 1948 à Paris, contraint les 152 pays d’alors, qui y ont adhéré, à prévenir et condamner tout acte de génocide.

C’est sur cette base que Pretoria s’appuie pour demande aux juges de déclarer publiquement qu’Israël se place en violation avec les obligations liées à cette convention. Mais cette décision ne sera pas attendue avant plusieurs mois, voire plusieurs années. En revanche, les mesures d’urgence réclamées, notamment celle de cesser au plus vite les opérations militaires israéliennes à Gaza, pourraient aboutir à une décision de la CIJ d’ici deux à trois semaines.

Le Monde



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