« Patate douce ! », lance la coach Emma Darquié. Aussitôt, un groupe de vingt-deux hommes se met en formation sur le tatami d’un dojo de la rue de Wazemmes, à Lille, en ce mardi soir de septembre. Ils dodelinent lentement des bras et des hanches, puis se répartissent en trinômes pour former des mini-pyramides, au cri de « Bring the action ! »
Créés en 2016, les Scrimmage People sont le premier collectif de pom-pom boys français. En tee-shirt et guêtres noirs, minishort, bretelles, bandeau et pompons rouges, ses membres, âgés de 25 à 55 ans, s’entraînent un soir par semaine et font le show lors de compétitions de sport féminin dans les Hauts-de-France et en Belgique. Ils ouvriront, le 26 octobre, la troisième édition du tournoi de roller derby, Skate of the Dead, à Anderlecht (Bruxelles). Ce sport de contact en patins à roulettes, né aux Etats-Unis et largement pratiqué en France depuis dix ans par des femmes, est leur terrain de jeu habituel. La troupe est née à l’issue d’un atelier organisé par les Vienna Fearleaders, les pionniers autrichiens des pom-pom boys en Europe, qui leur ont mis le pied à l’étrier après leur avoir offert des tenues de spectacle.
Trentenaire aux pommettes roses, Nathan Bounie, enseignant, a pratiqué plus jeune le patinage artistique pendant dix ans, quand tous ses camarades jouaient au football. « Je me prenais des remarques parce qu’ils considéraient que c’était un sport de filles, alors que je n’avais pas du tout l’impression d’être moins mec qu’eux. » Adulte, il se met à la danse jazz et la danse contemporaine, en s’amusant à créer des chorégraphies. Puis, deux enfants naissent en moins de quatre ans, le temps libre s’évapore et Nathan Bounie met sa passion en suspens. Un jour, son épouse découvre par hasard l’existence des pom-pom boys ; enthousiaste, elle l’inscrit d’office au club lillois. Elle a bien fait : « Je pouvais enfin pratiquer un sport collectif avec d’autres hommes, mais des hommes bienveillants, jamais dans le jugement… »
Franklin Roosevelt, Ronald Reagan ou George W. Bush
Au fil des années, les Scrimmage People se sont fait une place sur la scène lilloise, portant à leur façon un certain engagement militant. Ils assument ne pas avoir un physique d’Apollon, mais ont à cœur de jouer les athlètes. « Au début, avec notre bedaine et nos poils, on voulait juste s’éclater et casser les codes à coups de paillettes. » Soit bousculer l’univers figé des cheerleaders, et des pom-pom girls, en minijupes.
Rappelons cependant qu’aux Etats-Unis, les prouesses acrobatiques des pom-pom boys ne datent pas d’hier. Des présidents américains comme Franklin Roosevelt, Ronald Reagan ou George W. Bush l’ont eux-mêmes été lorsqu’ils étaient à l’université. Du milieu du XIXe siècle jusqu’aux prémices de la seconde guerre mondiale, quand les jeunes hommes sont partis en nombre à la guerre, le cheerleading était d’ailleurs exclusivement masculin, et aussi prestigieux que le football américain, comme le relatait Slate en 2013.
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