« Davaï ! Davaï ! » (« Allez ! Allez ! »). Penché au bord d’une tranchée boueuse, un militaire français harangue une colonne de soldats ukrainiens. Partis à l’assaut d’un boyau de terre hérissé de barbelés, ceux-ci ne progressent pas assez vite au goût de l’instructeur. « La mise en place a été propre. On ne les a pas vus ni entendus avant qu’ils déclenchent leur tir d’appui. Mais ils auraient dû avancer plus rapidement dans la tranchée pour ne pas laisser le temps à l’ennemi [joué par des militaires français] de se ressaisir, explique le capitaine Rémi, l’officier qui supervise la manœuvre. On va débriefer ça avec eux. »
Alors que la guerre en Ukraine se transforme en un affrontement de positions appelé à durer, la formation des soldats de Kiev par l’armée française, un programme commencé en février 2023, monte peu à peu en puissance. Après plusieurs mois de tâtonnements, durant lesquels les hommes étaient dispersés dans différents régiments, l’état-major a décidé de regrouper toutes ses formations au combat d’infanterie dans un camp du centre de la France, dont la localisation est tenue confidentielle, mais qui a été ouvert aux médias début novembre. Un nom a même été donné au détachement chargé de s’occuper des Ukrainiens : « Task Force 19 », en référence au mariage d’Anne de Kiev avec le roi Henri Ier, petit-fils d’Hugues Capet, qui eut lieu le 19 mai 1051 et marqua le début de la relation entre la France et l’Ukraine.
C’est là, au milieu des arbres et des champs, que plusieurs centaines de militaires ukrainiens viennent tour à tour suivre entre deux et cinq semaines d’entraînement, dans des conditions proches du réel, comme le font habituellement les fantassins français lors de leurs stages de préparation opérationnelle. « Nous leur proposons différentes formations en matière de combat terrestre. Cela peut être de l’assaut de tranchées ou de l’affrontement en milieu urbain, mais aussi des choses plus spécialisées, comme du tir de précision, du combat du génie, du franchissement de terrain miné… », énumère le lieutenant-colonel Even (les noms de famille ont été supprimés à la demande de l’armée), le chef du détachement « Task Force 19 ».
« Cela demande de la discipline »
Les instructeurs français ne cachent pas que les premiers jours peuvent être difficiles. Les Ukrainiens venus se former sont pour la plupart des engagés volontaires, et n’ont souvent pas reçu d’enseignement militaire. « On a des boulangers, des plombiers, certains ont plus de 40 ans. Il faut leur apprendre à marcher, à porter des charges, à endurer le froid… », explique le capitaine Michel. « Au début, ils parlent tout le temps, ils ont du mal à rendre compte à leurs supérieurs, parce que cela demande de la discipline. C’est pour ça qu’on répète, on répète. On “drille” [acquisition de réflexes par la répétition des tâches] tout le temps », ajoute le capitaine Xavier.
Il vous reste 65% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.