Depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par l’armée russe, le 24 février 2022, les Occidentaux sont obsédés par une crainte, qui freine le déploiement de leur aide au pays envahi : celle de provoquer une escalade susceptible de faire dégénérer la guerre en un conflit de plus grande ampleur. La Russie, de toute évidence, n’a pas cette crainte. Elle vient encore de le prouver en invitant des milliers de soldats nord-coréens à s’entraîner sur son sol en vue, selon toute vraisemblance, de les utiliser comme supplétifs.
Les Etats-Unis et l’OTAN ont confirmé, mercredi 23 octobre, le déploiement en Russie depuis début octobre d’au moins 3 000 soldats de Corée du Nord, arrivés à Vladivostok par bateau puis transférés dans différents sites d’entraînement, confirmant des informations livrées ces derniers jours par l’Ukraine et la Corée du Sud. Selon Kiev, il s’agirait au total d’un contingent de 12 000 hommes, appelés à intervenir en appui des troupes russes dans la guerre en Ukraine. Le chef du renseignement militaire ukrainien, le général Kyrylo Boudanov, pense que leur intervention est imminente sur le théâtre de Koursk, région russe où les troupes ukrainiennes sont présentes depuis leur attaque surprise lancée le 6 août.
C’est une évolution majeure dans cette guerre au cœur de l’Europe. Elle est d’abord le premier signal d’une internationalisation concrète du conflit ; si, de part et d’autre, les belligérants bénéficient de l’aide de leurs alliés – occidentaux pour l’Ukraine, Iran, Corée du Nord et indirectement Chine pour la Russie –, cette assistance s’est jusqu’ici limitée à de l’équipement. L’intervention de troupes étrangères est une ligne qu’aucun Etat n’a encore osé franchir : l’évocation, en février, par le président Emmanuel Macron, de la possibilité d’envoyer des instructeurs militaires en Ukraine avait suscité d’intenses polémiques en Europe et n’a pas été suivie d’effet.
Manœuvres déstabilisatrices
Le Pentagone a fait savoir que si des soldats nord-coréens prenaient part aux combats, ils seraient logiquement considérés comme des « cibles légitimes ». Le secrétaire américain à la défense, LLoyd Austin, qui voit dans cet appel à l’aide un signe de faiblesse de Moscou, a mis en garde contre les conséquences d’une telle internationalisation non seulement pour l’Europe mais aussi pour l’Indo-Pacifique.
La Corée du Sud surveille de très près, en effet, les mouvements de troupes nord-coréennes. Cette évolution place aussi la Chine dans une position délicate : allié de Pyongyang, Pékin n’apprécie pas pour autant les manœuvres déstabilisatrices du dictateur Kim Jong-un dans la région. Parallèlement, bien que proche allié de Vladimir Poutine, le président Xi Jinping cherche à se poser en faiseur de paix dans la crise ukrainienne, affirmant ne livrer aucune aide militaire directe à Moscou ; une telle escalade de la part de ses deux alliés contredit cette image.
L’autre préoccupation des Occidentaux comme, sans doute, de Pékin, est de savoir ce que la Corée du Nord obtient de Moscou en échange de ses troupes et de ses armes – selon le général Boudanov, les volumes d’aide de Pyongyang en matière d’artillerie sont sans commune mesure avec ceux des autres alliés de la Russie ; leurs livraisons se traduisent par une intensification des combats sur le front dans les huit jours qui suivent leur arrivée. Le plus probable est que l’aide nord-coréenne se paie en transfert de technologie nucléaire russe : ce serait là une mauvaise nouvelle pour tout le monde.