« Pendant des décennies, les Israéliens ont ignoré ce qui se disait dans les mosquées à Gaza »

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Journaliste franco-israélien vivant à Jérusalem, Charles Enderlin fut le correspondant de France 2 dans la région de 1981 à 2015. Il vient de republier Le Grand Aveuglement. Israël face à l’islam radical, ouvrage paru en 2009 et réédité avec de nouvelles analyses et de nouveaux témoignages post-7-Octobre (Albin Michel, 416 pages, 24,90 euros), dans lequel il retrace la montée sous l’œil des radars de l’islam radical dans la bande de Gaza, et éclaire plus largement la place du religieux dans le conflit israélo-palestinien.

Votre livre décrit la croissance de l’islam radical en Palestine, et principalement à Gaza. Comment ce mouvement a-t-il émergé ?

Charles Enderlin : Les Frères musulmans, organisation qui milite pour une politique basée sur la charia fondée en 1928 par l’Egyptien Hassan El-Banna (1906-1949), développent dès les années 1930 des contacts avec des Palestiniens, dont le grand mufti de Jérusalem, qu’ils vont soutenir dans l’opposition au sionisme. Saïd Ramadan (1926-1995), le gendre d’Hassan El-Banna, fonde même la section palestinienne de la confrérie en 1944. Et les liens s’intensifient à partir de la guerre israélo-arabe de 1948.

Un homme va ensuite jouer un rôle fondamental : le cheikh Ahmed Yassine (1937-2004). Palestinien membre des Frères musulmans durant ses études en Egypte, il fonde, en 1973 à Gaza, la Mujama al-islamiya (littéralement, le « centre islamique »). Au départ, cette association n’affichait aucune ambition politique, elle assurait vouloir propager l’islam, défendre les bonnes mœurs et développer des œuvres sociales ou des services de santé.

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Progressivement, ses partisans vont étendre leur influence, mettre la main sur les mosquées, distribuer des discours fréristes, notamment ceux de Sayyid Qutb (intellectuel égyptien extrémiste, antisémite et anti-occidental), puis incendier des cafés et s’en prendre physiquement à des gens accusés de boire de l’alcool ou de mœurs impies, le tout sans l’intervention de l’administration militaire israélienne, qui contrôlait alors la bande de Gaza.

Extrêmement intelligent et manipulateur, Ahmed Yassine a su persuader les chefs militaires israéliens de lui laisser le champ libre. En 1973, lors de l’inauguration d’un immeuble des Frères à Gaza, il s’affichait ainsi côte à côte avec le gouverneur militaire israélien, avec qui il coupait le ruban. Il sera certes emprisonné plusieurs fois, mais finira toujours par être libéré.

Comment expliquez-vous ce que vous qualifiez de « grand aveuglement », qui aurait concerné tant l’armée que les élites politiques israéliennes ?

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