« La montée de la solitude dans la jeunesse est une tendance forte et structurelle de ces deux dernières décennies »

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Spécialiste du « devenir adulte » et de l’étude des émotions, Cécile van de Velde, sociologue de l’université de Montréal, enquête sur la solitude à travers les âges. Elle décrypte les effets intimes et collectifs de ce sentiment chez les jeunes.

Comment expliquer que les jeunes se sentent si seuls de nos jours ?

C’est un phénomène qui était là bien avant la pandémie, qui l’a mis en partie en lumière : la montée de la solitude dans la jeunesse est une tendance forte et structurelle de ces deux dernières décennies, que ce soit en Europe, en Amérique du Nord, au Japon ou en Corée du Sud par exemple. Elle est multifactorielle et difficile à appréhender. D’abord, les jeunes se trouvent être les plus concernés par les facteurs majeurs qui créent de la solitude dans l’ensemble de la population : le chômage et la précarité de l’emploi d’abord, la mobilité géographique qu’imposent les débuts de carrière ensuite.

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Des facteurs générationnels entrent aussi en ligne de compte. Les jeunes générations se confrontent aujourd’hui à une forme de pression scolaire qui était moins présente par le passé, une pression sociale à la réussite et à choisir sa vie très tôt dans un monde qui ferme pourtant ses portes. Le face à soi imposé et le vertige créé ont tendance à mener à une forme de solitude existentielle. Celle-ci naît aussi d’un décalage entre des normes qui n’ont pas bougé concernant cet âge de la vie – où il faudrait créer des liens amoureux et amicaux très vite – et la réalité, où les possibilités de mises en contact se sont réduites.

En quoi la solitude peut-elle, dans cette population jeune, s’apparenter à ce que vous nommez un « gouffre » ?

Les solitudes souvent sont passagères, transitoires, mais il y a aussi des solitudes chroniques qui ressemblent en effet à des gouffres. J’ai vu des jeunes en situation de vulnérabilité, déjà très peu entourés et sans filet de sécurité familial ou autre, qui sont tombés dans des formes de solitude qui finissent par absorber tout leur être. Ce que j’entends de plus en plus, c’est une solitude politique : le sentiment d’être abandonné par la société, qu’il y a trop d’adversité. Le sentiment qui en découle d’être « annulé », de ne pas exister, vis-à-vis de soi, des autres ou de la société, est très présent dans une partie de la jeunesse : il se traduit aussi par d’autres symptômes, comme la dépression.

Quel effet cette grande solitude peut-elle avoir sur la construction, à cet âge, du rapport au collectif ?

On l’a longtemps associée à une affaire intime et privée, mais la solitude a des conséquences sociales importantes. Être trop isolé peut aboutir à des formes de résignation vis-à-vis du politique. Il peut aussi créer ressentiment et colère. Des études se sont intéressées au mouvement des célibataires involontaires, les incels, et ont montré que la solitude est absolument centrale dans leurs rhétoriques misogynes et violentes. Elle peut donc devenir le déclencheur d’un discours politique de haine ou de rejet de l’autre. Ce sont les effets négatifs. Mais le mouvement #metoo l’a montré, lorsque les individus comprennent qu’ils ne sont « pas seuls à se sentir seuls », cela peut aussi être le ressort d’une prise de parole collective pour l’émancipation.

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