« Les Portes de Gaza », d’Amir Tibon : l’empreinte du 7 octobre

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Dossier. Israël, Gaza, un an après le 7 octobre

  • « Les Portes de Gaza », d’Amir Tibon : au kibboutz Nahal Oz, le 7 octobre 2023.
  • « Ce que vous trouverez caché dans mon oreille », de Mosab Abu Toha, et « La Vie sous les bombardements », d’Ibrahim Khashan, dans la bande de Gaza, avant et après le 7 octobre.
  • « Une étrange défaite. Sur le consentement à l’écrasement de Gaza », de Didier Fassin : une analyse parfois trompeuse de l’anthropologue.
  • « La Fin d’une illusion. Israël et l’Occident après le 7 octobre », sous la direction de Bruno Karsenti : les répercussions du 7 octobre et de ses suites en Europe et aux Etats-Unis ; suivi d’autres parutions.
  • Entretien avec David Grossman, dont paraît « Le Cœur pensant. Réflexions sur un chaos annoncé ».
Dans le kibboutz de Beeri, le 24 juin 2024, des affiches posées devant chaque maison évoquent les victimes du 7 octobre 2023.

« Les Portes de Gaza. Une histoire de trahison, de survie et d’espoir aux frontières d’Israël » (The Gates of Gaza. A Story of Betrayal, Survival and Hope on Israel’s Borderlands), d’Amir Tibon, traduit de l’anglais (Israël), par Colin Reingewirtz, éd. Christian Bourgois, 480 p., 24 €, numérique 19 €.

Il fait déjà nuit, ce 7 octobre 2023, quand les habitants du kibboutz Nahal Oz sont évacués en bus après une journée de terreur. A l’intérieur du véhicule, un silence halluciné s’est abattu sur les familles. Les enfants eux-mêmes n’émettent plus un son. Amir Tibon, qui se ­trouvait à bord avec son père, Noam, son épouse, Miri, et leurs deux filles en bas âge, se souvient de ce moment : « C’était comme si les mots avaient tout simplement perdu leur sens. »

Pour l’auteur, journaliste au quotidien de gauche Haaretz, un tel état d’aphasie ne pouvait durer. A peine réfugié plus au nord d’Israël, il a donc décidé de remettre des mots et – c’est ce qui fait la force de son livre – de la complexité sur ces événements qui n’ont pas fini d’endeuiller la région. Avec Les Portes de Gaza, remarquable réflexion autour des événements du 7 octobre, il ne se contente pas de raconter son expérience et celle des membres de son kibboutz. Remontant le fil de l’histoire, celle de Nahal Oz et celle de son pays, Tibon met en lumière l’enchaînement de haines, d’espoirs bafoués, d’erreurs et de pur cynisme qui a abouti à ce massacre.

Efficace et passionnante, cette construc­tion porte un titre doublement évocateur. Les « portes de Gaza », ce sont évidemment ces kibboutz installés le long de l’enclave palestinienne (Nahal Oz se trouve à moins de 1 kilomètre du ­territoire gazaoui). Mais l’expression fait aussi référence à la légende biblique de Samson, qui, prisonnier des Philistins de Gaza, s’enfuit en arrachant les portes de la ville afin de les emporter à Hébron. Trahi par Dalila puis de nouveau livré aux Philistins, Samson finira par écarter les colonnes d’un temple qui s’écroule, tuant à la fois le colosse et ses ennemis jurés.

La parabole a été utilisée le 29 avril 1956 par Moshe Dayan (1915-1981), alors chef d’état-major de l’armée israélienne. Ce jour-là, dans le kibboutz Nahal Oz, dont il avait encouragé la création trois ans plus tôt, le général prononce un discours à l’occasion du décès de Roi Rotberg, l’un des pionniers de la petite communauté, tombé dans une embuscade aux confins du village. Fait rarissime, Dayan reconnaît la souffrance des Palestiniens chassés de leurs terres, mais c’est pour mieux mettre en garde : le groupe de jeunes gens installé à Nahal Oz, dit-il, « traîne les lourdes portes de Gaza sur ses épaules ». Restez vigilants et armés, recommande-t-il, car « par-delà le sillon de la frontière grandissent un torrent de haine et une soif de revanche qui n’attendent que le jour où la sérénité obscurcira notre chemin ».

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