Au Burkina Faso, la junte du capitaine Traoré s’en prend aux familles de ses opposants

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L’ancien ministre burkinabé des affaires étrangères Djibril Bassolé, à Ouagadougou, en octobre 2013.

« Jamais nous n’aurions pensé que le régime puisse aller jusque-là. » A l’autre bout du fil, la voix tremblante, un proche du général Djibril Bassolé, ancien ministre burkinabé des affaires étrangères, se dit « horrifié » par les enlèvements successifs de ses deux enfants et de son aide de camp entre le mercredi 11 et le lundi 16 septembre à Ouagadougou.

Yasmine Bassolé, la fille de celui qui fut longtemps le chef de la diplomatie de l’ex-président Blaise Compaoré (chassé du pouvoir par une insurrection populaire en octobre 2014), a été enlevée par des hommes non identifiés dans la soirée de lundi alors qu’elle sortait d’une clinique de la capitale. Elle y était hospitalisée depuis deux jours pour un malaise engendré par la violente perquisition de son domicile, dans la nuit de vendredi à samedi, par des hommes disant être des gendarmes.

Dans un enregistrement audio consulté par Le Monde Afrique, la jeune femme relatait comment un de ses frères, Gani Bassolé, arrêté par des hommes de la junte du capitaine Ibrahim Traoré, au pouvoir depuis son coup d’Etat de septembre 2022, avait été forcé à les conduire jusque chez elle pour y procéder à une perquisition, sans mandat et en refusant de décliner leur identité.

« J’étais tétanisée, prise de panique. L’un d’entre eux m’a frappée très violemment à deux reprises sur la tête », racontait-elle depuis son lit d’hôpital, alertant également sur la présence d’« éléments montant la garde » derrière la porte de sa chambre. « Tout l’hôpital a été quadrillé. Entre-temps, mon frère Aziz a également été enlevé. On ne sait pas où ils l’ont amené », s’alarmait-elle juste avant son propre rapt. Quelques jours plus tôt, le 11 septembre, l’aide de camp de Djibril Bassolé, Omar Zalla, avait lui aussi été enlevé dans des conditions obscures.

« C’est pour m’atteindre »

Le général Bassolé, condamné en 2019 à dix ans de prison pour son implication dans un putsch manqué en 2015, a été évacué en France en 2020 pour des raisons de santé. Il est aujourd’hui accusé par la junte du capitaine Traoré d’être l’un des principaux instigateurs des tentatives de déstabilisation à son encontre.

Depuis la Fance, où il vit en exil, il a raconté au micro de Radio France internationale (RFI), lundi matin, les « moments terribles » qu’il vit avec son épouse depuis l’enlèvement de leur fils Aziz et quelques heures seulement avant celui de leur fille Yasmine. « Mes enfants ne sont pas impliqués dans les affaires politiques. S’ils sont aujourd’hui persécutés, c’est pour moi, pour m’atteindre […] Savoir nos enfants mis en danger de mort comme ça, simplement parce que moi, j’ai voulu m’exprimer sur la situation de sécurité de mon pays, ce sont des méthodes que nous dénonçons avec la plus grande énergie. »

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Fin juin, Djibril Bassolé avait relaté dans un entretien accordé à Financial Afrik les « tensions et un malaise au sein des armées, dont la cohésion et le moral sont mis à très rude épreuve à cause des affres de la situation chaotique de sécurité ». Le pouvoir du capitaine Traoré venait alors, une nouvelle fois, de vaciller. Le 12 juin, une roquette avait explosé aux abords de la présidence, située au centre-ville de Ouagadougou, après une des attaques djihadistes les plus meurtrières de l’histoire du pays, au cours de laquelle une centaine de soldats avaient été tués à Mansila (nord-est).

« Lorsque les hommes se font massacrer comme de la chair à canon faute de précautions et dans une indifférence générale, cela crée forcément des frustrations », avait dénoncé le général, critiquant les « méthodes désastreuses obstinément utilisées par le régime ».

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Depuis l’arrivée au pouvoir d’Ibrahim Traoré, dont le régime est sécurisé par des paramilitaires russes, les enlèvements, arrestations arbitraires et enrôlements forcés dans l’armée des voix discordantes sont devenus légion. De nombreux opposants politiques, défenseurs des droits humains et autres acteurs de la société civile jugés contestataires ont fui le pays ces derniers mois. Etape supplémentaire dans sa dérive dictatoriale, le régime s’en prend désormais à leurs proches restés au pays.

« Les militaires ont peur »

« On est devenu pire que la Corée du Nord. Nous avons tous peur de voir nos proches arrêtés. Ils mettront tout en œuvre pour nous réduire au silence », dénonce un acteur burkinabé des droits humains exilé dans un pays d’Afrique de l’Ouest. Un « tournant » également dénoncé par le mouvement Servir et non se servir (SENS), dont le fondateur, l’avocat Guy Hervé Kam, une des figures de l’insurrection populaire de 2014, a été enlevé en janvier et croupit depuis août dans une prison de Ouagadougou, accusé de tentative de déstabilisation de l’Etat. « Il n’a plus accès à son avocat depuis deux semaines », regrette Yoporeka Somet, secrétaire national de SENS.

Dans un communiqué publié le 14 septembre, le mouvement a fait état des « enlèvements et/ou disparitions » du militant Mohamed Sinon et d’Ada Diallo, la femme d’Ahmed Aziz Diallo, maire de Dori (nord). Cette dernière a toutefois été libérée mardi, selon plusieurs sources concordantes. Fin avril, dans un post publié sur sa page Facebook, son mari, par ailleurs vice-président du Parti pour la démocratie et le socialisme (PDS), avait appelé le régime à libérer « tous les citoyens enlevés », citant notamment le nom de Guy Hervé Kam.

Depuis un pays africain où il est exilé, Yoporeka Somet dénonce « la dérive très dangereuse du régime ». « S’attaquer à la famille des militants, c’est du jamais-vu dans l’histoire de notre pays. Cela montre une crispation des autorités. Depuis le massacre de Barsalogho, les militaires au pouvoir ont peur et savent que leur fin pourrait être proche. » Le 24 août, dans cette commune du Centre-Nord, près de 400 Burkinabés ont été abattus par des djihadistes alors qu’ils creusaient des tranchées sur ordre de la junte.

Depuis, la tension est encore montée d’un cran au sein de l’armée, tandis que sur les réseaux sociaux, les partisans du capitaine Traoré « ont multiplié les menaces, appelant à s’en prendre aux proches des voix contestataires, en toute impunité », dénonce Yoporeka Somet. A l’aube de l’enlèvement des proches du général Bassolé, des pages Facebook soutenant la junte, qui menacent depuis des mois les voix critiques, avaient en effet annoncé la purge en cours.

« Toutes les familles complices ont été identifiées. Fermez les frontières, ils n’auront pas d’échappatoire », avait souligné l’une d’entre elles le 14 septembre. « Avec ce qui vient, ils se tairont à jamais », proférait une autre deux jours plus tard, avant d’affirmer que « les opérations se poursuivent ». Contacté, le gouvernement burkinabé n’a pas répondu à nos sollicitations.

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