« Les scientifiques ont le droit et la liberté de s’engager »

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Christine Noiville, directrice de recherche au CNRS à l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne, est juriste et présidente du comité d’éthique du CNRS, le Comets. En 2023, cette instance rendait un avis sur les divers modes d’expression des scientifiques dans l’espace public, « Entre liberté et responsabilité : l’engagement public des chercheurs et chercheuses ».

Christine Noiville, lors d’une conférence à Paris, en octobre 2012.

Pourquoi le comité d’éthique du CNRS a-t-il choisi de se prononcer sur l’engagement des chercheurs ?

Les scientifiques sont engagés de longue date, pour ou contre les OGM, le nucléaire, la procréation médicalement assistée… Mais nous avons constaté un renouvellement de cette grande tradition, sur trois aspects au moins. D’abord, la médiatisation a changé d’échelle. La réalité des médias et des réseaux sociaux fait que l’on entend de plus en plus de chercheurs. Le débat scientifique, y compris entre pairs, se tient de plus en plus sur les réseaux sociaux, mais dans des conditions qui posent parfois question.

Le deuxième élément, c’est évidemment la crise environnementale. De plus en plus de chercheurs se demandent comment continuer dans leur labo à produire de la connaissance dans ce contexte. Ils constatent que le monde s’effondre et se disent qu’il faut quand même essayer d’agir pour l’empêcher.

Enfin, les jeunes changent la donne. Ils maîtrisent les réseaux sociaux, sont très sensibles aux questions d’environnement ou de droits humains et surtout n’ont pas une vision de la science cantonnée à la production de connaissances, comme la plupart de leurs aînés. Ils sont beaucoup plus critiques sur les applications de la science, ou sur sa prétendue « neutralité ». Globalement, on pourrait dire qu’ils ont un sens des responsabilités plus aiguisé.

Quelles questions nouvelles ces changements posent-ils ?

A tous les niveaux, nous avons identifié des questionnements et des tensions. La direction du CNRS se demande comment s’y prendre avec des collectifs particulièrement engagés. Les directeurs de labo s’interrogent sur la manière de concilier plusieurs opinions dans les équipes : comment protéger les chercheurs qui s’engagent et sont attaqués, comment préserver ceux qui ne veulent pas s’engager mais se considèrent poussés à agir par leurs collègues. Certains craignent même pour l’image de leur labo. Enfin, au niveau individuel, des questions difficiles se posent. Ai-je le droit de m’engager ? Si oui, est-ce que je le peux, sans nuire à ma crédibilité ? Faut-il le faire ?

Il y a donc un besoin de règles ou de guides. Par notre avis ou celui de mes homologues du Comité Ethique en commun, qui représente l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, l’Institut de recherche pour le développement, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, nous essayons de donner des clés pour rédiger de tels cadres.

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