« De toute manière, vous ne saurez rien. Tout est stérile. » Ces mots stupéfiants à propos de l’engagement de l’Elysée de François Mitterrand au Rwanda ont été prononcés par un général de corps d’armée, l’une des plus hautes fonctions de l’institution militaire française. En cette fin d’année 1997, le général Jean-Pierre Huchon savait qu’il parlait à un journaliste. Ce n’était pas une confidence, mais une affirmation tranchante, brutale, après une série de questions précises sur l’engagement de Paris au Rwanda. Tout était supposé « stérile » donc, c’est-à-dire placé sous le plus haut sceau du secret, les documents les plus compromettants détruits ou mis à l’abri au nom de la « raison d’Etat ».
Homme-clé du dispositif militaire déployé au Rwanda puis au Congo par l’Elysée de François Mitterrand, sous la supervision du secrétaire général Hubert Védrine, le général Jean-Pierre Huchon, ancien commandant du 1er régiment parachutiste d’infanterie de marine – une unité chargée des missions spéciales, notamment en Afrique –, avait rejoint l’état-major particulier de la présidence de la République de 1991 à 1993 en tant qu’adjoint du général Christian Quesnot. Il fut ensuite nommé à la tête de la Mission militaire de coopération (MMC) jusqu’en 1995.
Depuis son « tout est stérile » en 1997, le général Jean-Pierre Huchon s’est gardé de toute intervention publique. Ainsi n’a-t-il pas réagi, en 2021, lorsque le général Jean Varret, son prédécesseur à la MMC, fit le récit public d’une surprenante visite au palais de l’Elysée lors de ces années noires qui virent la présidence française s’engager dans une irrémédiable politique de collaboration avec ceux qui allaient mener au Rwanda la dernière « solution finale » du XXe siècle.
Hors de tout cadre
Comme l’a raconté Le Monde, le général Huchon, alors à l’état-major particulier de la présidence de la République, accueille à l’Elysée son homologue du ministère de la coopération. Les deux soldats font quelques pas et tous deux évoquent le Rwanda, où un important détachement militaire français est présent au cours de ces années qui précèdent le génocide. De fil en aiguille, Huchon explique au général Varret qu’un dispositif de transmission est installé sous les combles à l’Elysée, afin que les ordres de la présidence soient transmis sans intermédiaire aux troupes sur place. C’est un détail, mais qui dit tout. Au Rwanda, l’Elysée mena une guerre, la sienne, en direct, sans contrôle.
Hors de tout cadre, en dehors de toute règle, au prix de la création de « hiérarchies parallèles » et d’un retour à la doctrine de la « guerre révolutionnaire », de sinistre mémoire depuis la guerre d’Algérie, quelques hommes placés au cœur de la République ont engagé un pays entier, la France, dans la voie du déshonneur.
Il vous reste 57.07% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.