La reconduction de Vladimir Poutine pour un cinquième mandat présidentiel, le 17 mars, au terme d’une parodie d’élection, avait pour objectif de mettre en scène une image de toute-puissance. Elle a été balayée moins d’une semaine plus tard par le fracas de l’attentat meurtrier perpétré le 22 mars au Crocus City Hall, une salle de concerts située à Krasnogorsk, au nord-ouest de la capitale russe, et dont des civils ont payé un prix sanglant.
Un bilan encore provisoire faisait état le 25 mars au matin de 144 morts, soit l’opération terroriste la plus meurtrière en Russie depuis une vingtaine d’années. Elle a suscité une condamnation internationale quasi unanime et sans équivoque, y compris de la part des adversaires occidentaux du régime russe.
La revendication de l’attentat par l’organisation djihadiste de l’Etat islamique au Khorassan, en référence à la zone géographique qui incluait dans le passé des parties de l’Iran, du Turkménistan et de l’Afghanistan, a été jugée à ce stade convaincante par les bons connaisseurs de la mouvance terroriste. Ce groupe avait revendiqué en 2021 l’attentat meurtrier commis à l’aéroport de Kaboul qui avait ensanglanté le retrait chaotique des Etats-Unis d’Afghanistan.
Aveuglement contre-productif
Vladimir Poutine, pourtant, s’est gardé d’y faire référence lorsqu’il a fini par prendre la parole après de longues heures de silence. Il s’est efforcé en revanche d’établir un lien tortueux avec l’Ukraine, le pays qu’il tente de briser depuis plus de deux ans, sans aller jusqu’à mettre en cause la responsabilité de Kiev. L’absence d’éléments à charge rend cette tentative de manipulation consternante, surtout pour les familles endeuillées qui ont droit à la vérité, une gageure dans le pays du mensonge.
Et pour cause. Cet attentat, qui rappelle combien la menace djihadiste reste présente, y compris sur le sol européen, prend à revers le grand récit développé depuis des années par le maître du Kremlin. Ce récit fait de l’affrontement avec un Occident fantasmé, à la fois décadent et agressif, le seul enjeu existentiel auquel la Russie serait confrontée.
Cet aveuglement est particulièrement contre-productif. Il suffit de porter le regard sur les régions du monde où le djihadisme continue de semer la mort après l’éradication de son sanctuaire moyen-oriental, comme en Afrique sahélienne, pour constater combien la mise en avant obsessionnelle de l’opposition entre Moscou et Washington, ou Paris, sert cette organisation terroriste.
L’attentat du 22 mars est d’autant plus humiliant pour Vladimir Poutine que les Etats-Unis étaient passés outre la conflictualité actuelle pour prévenir Moscou de l’imminence d’une attaque terroriste. La mise en garde avait été traitée avec dédain par les autorités russes, pour le malheur des victimes du 22 mars.
Depuis des années, les libertés en Russie ont subi les assauts incessants d’un appareil répressif dirigé par un expert qui a construit sa popularité sur la promesse du retour de l’ordre. Inlassablement, les voix dissidentes, comme dernièrement les critiques de l’agression de l’Ukraine, ont été étouffées, par tous les moyens. Les Russes pouvaient espérer que ces abandons seraient au moins assortis d’une protection contre des périls clairement identifiés, et de longue date. La leçon du 22 mars est, hélas, qu’il n’en est rien.