un levier de négociation dont l’UE aurait tort de se priver

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Le débat sur la saisie des avoirs russes gelés en Europe dans le cadre des sanctions prises en réaction à l’invasion de l’Ukraine s’est intensifié au cours des dernières semaines. La mesure fait partie d’une proposition de résolution sur le renforcement du soutien à l’Ukraine qui a été adoptée, mercredi 12 mars, à l’Assemblée nationale.

Soulevée régulièrement depuis le début de la guerre, la question se pose avec une nouvelle acuité après le spectaculaire revirement diplomatique des Etats-Unis. Washington fait désormais de son aide à l’Ukraine un élément de chantage pour arriver le plus vite possible à un accord de paix avec la Russie. Cette situation, qui renforce considérablement Moscou, oblige les Européens à trouver de nouvelles voies pour soutenir l’Ukraine. L’utilisation des fonds russes fait partie des options.

Plus de 210 milliards d’euros d’actifs appartenant à la Banque centrale de Russie sont gérés par Euroclear, une société internationale de dépôts de fonds située à Bruxelles. Dès mai 2024, les Vingt-Sept ont commencé à utiliser les intérêts produits par ces avoirs immobilisés, pour financer l’effort militaire ukrainien. Même si la Russie qualifie cette décision de « vol », celle-ci est autorisée par le droit international.

Des députés Ensemble pour la République, votent lors de la discussion sur le renforcement du soutien à l’Ukraine, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 12 mars 2025.

Mises en garde

Saisir le capital russe immobilisé pose en revanche une question juridique plus épineuse. Au nom de l’« immunité d’exécution », un Etat n’a pas le droit de saisir les biens d’un autre. L’Union européenne (UE) se mettrait donc en porte-à-faux avec l’un de ses principes fondamentaux ; sa crédibilité lorsqu’elle exige du reste de la communauté internationale le respect du droit en souffrirait. Les milieux financiers mettent également en avant un risque réputationnel, qui dissuaderait les investisseurs de confier leurs actifs à une entité susceptible de les confisquer. D’aucuns veulent croire que la crédibilité de la zone euro serait affectée au point d’endommager son attractivité.

Ces mises en garde doivent être évaluées sérieusement. Il faut toutefois les mettre en balance avec les intérêts géopolitiques de l’Europe. Exclue à ce stade des tentatives de négociations de paix, l’UE dispose de trop peu de cartes pour écarter définitivement la saisie des avoirs russes. Ce pourrait être au contraire un levier très utile pour obtenir des concessions de la part de Moscou.

Si les arguments juridiques et financiers sont fondés, le débat doit également tenir compte de l’accélération des événements et d’un contexte international dans lequel le droit est ouvertement bafoué. Saisir les avoirs russes ne serait pas une décision unilatérale et injustifiée de l’UE contre un autre Etat. Ce ne serait que la conséquence des multiples violations du droit international que la Russie a commises, jusqu’ici en toute impunité.

Si l’Europe doit continuer à défendre les principes du droit international, elle doit aussi savoir user des rapports de force lorsque ses intérêts vitaux sont menacés. Renoncer d’emblée à saisir les avoirs russes serait se condamner à l’impuissance, puisque les moyens légaux sont inopérants avec la Russie.

Le débat pourrait utilement porter sur la façon de se servir de cette menace pour obtenir des garanties de sécurité de la part de la Russie. La meilleure façon de la rendre crédible n’est certainement pas de donner le sentiment que l’UE restera passive face aux puissances qui foulent allègrement aux pieds toutes les règles internationales.

Le Monde



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