Le mot a beau avoir été dévoyé, ce n’est pas une accusation que l’on lance à la légère à la fin d’une campagne électorale au pronostic particulièrement serré. En affirmant, mardi 22 octobre, dans un entretien avec le New York Times, que la conception de l’exercice du pouvoir de l’ancien président américain Donald Trump peut être qualifiée de « fasciste », John Kelly, qui fut son chef de cabinet à la Maison Blanche, a mis des mots extrêmement dérangeants sur le malaise causé par la candidature du républicain dans le monde démocratique.
Pour John Kelly, ancien général des marines, si le fascisme peut être défini comme « une idéologie autoritaire, d’extrême droite, ultranationaliste et un mouvement caractérisé par un leader dictatorial, une autocratie centralisée, le militarisme, la suppression de l’opposition par la force et la foi dans une hiérarchie sociale », alors la vision du pouvoir de l’ex-président « correspond à cette définition ». L’ancien chef de cabinet se dit convaincu que, s’il est réélu pour un second mandat à la présidence le 5 novembre, Donald Trump exercera le pouvoir de manière « dictatoriale ».
L’accusation de « fascisme » a aussitôt été reprise par son adversaire démocrate, la vice-présidente Kamala Harris, qui hésitait jusque-là sur l’angle d’attaque face à un candidat multipliant les outrances verbales et politiques. Le camp républicain, pour sa part, rejette cette qualification qu’il considère comme indigne du débat électoral.
Le problème est que Donald Trump lui-même a plongé le débat électoral dans des abîmes d’insultes, de démagogie et de mensonges au moment où la campagne prenait un tour violent avec deux tentatives d’assassinat contre lui. Dans ce troisième combat présidentiel depuis 2016, il a poussé la rhétorique populiste plus loin encore que les fois précédentes, devant des foules dont l’adhésion ne fait aucun doute.
Parti républicain largement trumpiste
Ce climat est d’autant plus inquiétant que l’ex-président, qui a rejeté les résultats de l’élection présidentielle de 2020 et encouragé des centaines d’émeutiers à prendre d’assaut les bâtiments du Congrès le 6 janvier 2021, refuse aujourd’hui de s’engager à reconnaître les résultats du scrutin du 5 novembre. Les responsables tels que John Kelly qui limitaient les dérives du président Trump à la Maison Blanche ont été remplacés par des fidèles à la loyauté plus sûre. Les fameux checks and balances du système démocratique américain, ces garde-fous supposés garantir la solidité des institutions, ont été affaiblis sous son mandat. Si le Congrès passe aux mains d’un Parti républicain aujourd’hui largement trumpiste, il n’y aura plus de contre-pouvoir législatif.
L’historien américain Robert Paxton, qui révéla la vérité sur Vichy aux Français et consacra une bonne partie de sa vie à l’étude du fascisme, évitait en 2018 d’assimiler le trumpisme à l’objet de ses recherches : Trump, confiait-il au Monde, « semble n’avoir d’autres priorités que de baigner dans sa propre gloire. Peut-être son indolence naturelle sera-t-elle notre salut ». Six ans plus tard, interrogé par le New York Times et instruit par l’expérience, Robert Paxton n’hésite plus. Lui aussi identifie le risque fasciste chez Donald Trump.
Ces avertissements ont une résonance toute particulière en Europe, berceau du fascisme et théâtre de la montée des partis d’extrême droite depuis dix ans. Ils portent sur le principal allié de l’Europe et le garant de sa sécurité. A l’ère de la multiplication des autocrates, il faut les prendre au sérieux.