Quel que soit le verdict, elle ne rendra pas les armes. « Je suis en mission, tant que je pourrai respirer, je continuerai le combat », martèle Tran To Nga. Cette Franco-Vietnamienne de 83 ans est depuis près de dix ans la porte-drapeau des victimes de l’agent orange, cet herbicide ultra-toxique utilisé par l’armée américaine lors de la guerre du Vietnam (1955-1975).
C’est de Ho Chi Minh-Ville – d’où elle nous répond en visio, lunettes roses, visage serein – qu’elle connaîtra l’issue du procès historique qu’elle a intenté en 2014 contre quatorze multinationales (dont Monsanto et Dow Chemical) qui ont commercialisé le produit chimique. La cour d’appel de Paris fera connaître sa décision le 22 août. Un moment important, pour elle comme pour toutes les victimes.
Tran To Nga se souvient précisément de cette matinée de 1966 où elle a vu se former un drôle de nuage dans le ciel de Cu Chi, au nord-ouest de Saïgon. Elle a alors 22 ans et est jeune journaliste stagiaire au sein de l’agence de presse du Front national de libération du Sud-Vietnam, ces combattants communistes opposés au régime pro-américain en place. Une poudre humide lui recouvre soudain la tête et le corps.
Des milliers de litres épandus par l’armée américaine
Elle l’ignore encore, mais des milliers de litres de défoliant sont en train d’être répandus par une armée américaine mise en difficulté par la guérilla vietnamienne (plus de 68 millions de litres entre 1962 et 1971). Objectif militaire de l’Opération Ranch Hand : mettre le Vietcong à portée de tir en détruisant son bouclier naturel de forêts et de mangrove. Mais aussi réduire à néant les futures récoltes pour affamer les combattants. Son travail ne lui laisse pas le temps de cogiter. Tran To Nga prend une douche et oublie l’épisode.
L’année suivante, elle donne naissance à son premier enfant atteint d’une malformation cardiaque congénitale. La fillette ne survit que dix-sept mois. Tran To Nga ne fait pas le lien avec l’agent orange, qui tient son nom de la couleur des bidons de stockage. Après la guerre, devenue directrice d’école à Ho Chi Minh-Ville, elle fait la connaissance d’anciens combattants et de leurs familles, handicapés à cause du produit.
Puis les médecins lui découvrent plusieurs pathologies, dont un cancer du sein, du diabète et une tuberculose. Les deux filles qu’elle a eues après la mort de son aînée souffrent aussi de malformation cardiaque. Dans les années 1970, Tran To Nga suit de loin les travaux des scientifiques et découvre les méfaits de l’agent orange, qui contient notamment de la dioxine, un perturbateur endocrinien cancérigène.
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