Temps de l’enfant : « L’ennui fait grandir »

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L’ennui aurait-il disparu de la vie de nos enfants ? Si, il y a encore une décennie, il m’arrivait régulièrement en rendez-vous des parents excédés par leurs enfants ne sachant pas s’occuper, aujourd’hui, c’est leur agitation et leurs troubles de l’attention qui occupent nos échanges.

Faut-il s’en inquiéter ? En aurions-nous définitivement fini avec l’ennui et le bruit incessant des plaintes infantiles ? Le souhait d’une enfance « sage », silencieuse, immobile est devenu un phénomène de société qu’il est impossible de taire. Les adeptes du « no kids » refusent désormais sans complexe la présence des enfants dans les restaurants, les hôtels, les lieux de loisirs.

Notre paradoxe s’étale au grand jour : nous voulons des enfants mais détestons leur enfance. Nous refusons leurs bruits, leurs mouvements, leurs besoins de soutien trop exigeants, trop chronophages. Refusons-nous d’être responsables du temps vulnérable de l’enfance ? Et d’être en soutien pour accompagner leurs parents ?

Faire parler la pensée

Attendre que nos enfants deviennent silencieux et invisibles, à l’image de la vague qui se retire très loin avant de déferler en tsunami dévastateur, est une démarche à risque. Fabriquer une génération future allergique à l’ennui est un risque tel qu’il est à considérer de toute urgence.

En finir avec l’ennui, c’est en finir avec la complexité de la pensée, c’est fabriquer des citoyens peu en contact avec eux-mêmes, toujours prêts à en découdre corporellement, fragilisés dans leur empathie et leur compréhension du monde. Passer par l’expression du corps en lieu et place de la pensée traduit une vie intérieure pauvre, qui n’a pas pris le chemin des expériences sensibles, de la rêverie, de l’ennui, de l’imaginaire, ni de la capacité à dépasser ses frustrations pour les sublimer et leur donner un autre destin que la violence. C’est ce que Freud appelait la culture, la civilisation.

L’ennui est un kit de survie. Ses cheminements conduisent l’enfant d’un corps en dépendance à une liberté de penser, d’être, de délibérer. Il engage un temps long, le temps de l’enfance. Parce que l’enfant n’est pas un adulte en miniature mais un adulte en devenir, interroger tout ce qui le construit est une voie royale pour améliorer nos vies ensemble. Vivre ensemble demande beaucoup de maturité, soit un accomplissement de nos liens cognitifs, moteurs, affectifs, émotionnels, langagiers.

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