Surprise en Albanie après l’annonce d’un futur Etat bektachi

2032


LETTRE DES BALKANS

Edmond Brahimaj, dit « Baba Mondi », chef spirituel des bektachis, dans les bureaux du siège mondial de cette religion soufie, à Tirana (Albanie), le 31 octobre 2024.

Il est à peine 10 heures du matin, jeudi 31 octobre, mais après avoir servi le café, le jeune derviche en tunique blanche demande inévitablement : « Vous ne voulez pas aussi un raki ? ». Les bektachis de Tirana ont beau se revendiquer de l’islam, ils se conforment à la tradition très balkanique d’offrir aux invités cette eau-de-vie traditionnelle de prune ou de raisin.

Depuis que le premier ministre albanais, Edi Rama, a annoncé, à la surprise générale, le 21 septembre dans le New York Times et à la tribune de l’ONU le lendemain, qu’il comptait donner le statut d’État souverain au siège mondial de ce mouvement soufi afin d’en faire « un centre de modération, de tolérance et de coexistence pacifique », les Albanais se demandent si leur chef de gouvernement, connu pour aimer faire parler de lui, est vraiment sérieux.

Perché sur les collines de Tirana, le siège mondial des bektachis était jusqu’ici un endroit plutôt discret. Un grand temple percé de lumière, nommé « L’Odéon », est entouré de quelques hectares de verdure qui font des lieux un îlot de calme comparé à l’animation de la capitale albanaise. Le domaine est censé devenir un Etat indépendant avec tout ce qui fait ses attributs, c’est-à-dire un siège aux Nations unies et un chef, en l’occurrence, Baba Mondi, l’actuel chef spirituel des bektachis.

« Mieux exister au niveau mondial »

« Qui vous voulez que ce soit d’autre ?  », lâche, en levant les bras au ciel, cet homme rond de 65 ans, recevant dans l’un de ses salons de réception décorés de grands tableaux mystiques et colorés. Edmond Brahimaj, de son vrai nom, porte la toque, arbore une barbe fournie et revêt la tunique blanche et verte qui désigne les « kryegjysh », soit les guides spirituels de cette confrérie qui s’est installée en Albanie dans les années 1920 après avoir été expulsée de Turquie par Mustafa Kemal Atatürk (1881-1938).

Comme au sein de la très grande majorité des mouvements soufis, il y revendique son mysticisme et ses valeurs de « pacifisme, de tolérance et de coexistence ». Les femmes ne peuvent certes pas faire partie du clergé mais ne portent pas le voile. La consommation d’alcool est tolérée. Et dans le petit musée construit sous la grande salle de prière, on aime montrer aux Français de passage la photographie de Baba Mondi et de tous les représentants religieux albanais unis derrière leur premier ministre lors d’une visite à Paris pour rendre hommage aux victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo, en 2015.

Il vous reste 61.62% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.



Source link