A son tour, Strelkov est rattrapé par la machine judiciaire au service du Kremlin. Il était encore, récemment, l’un des blogueurs les plus populaires et influents au sein du groupe des « turbo-nationalistes », comme sont qualifiés ces ex-militaires, ultrapatriotes, omniprésents depuis dix-sept mois sur le réseau social Telegram pour commenter « l’opération militaire spéciale » du Kremlin en Ukraine.
Au fil des dysfonctionnements de l’armée russe, des humiliations et défaites sur le front, Igor Guirkine, le vrai nom de cet ancien commandant séparatiste du Donbass, devenu à Moscou le blogueur « Strelkov » (littéralement « tireur »), s’était cependant montré de plus en plus critique vis-à-vis du pouvoir. A coup de formules virulentes, il ciblait la hiérarchie militaire et donc, de facto, politique, accusée de ne pas mener l’offensive de manière efficace. Alors que le moindre opposant « libéral » risque une peine de prison pour un anodin message antiguerre, il semblait néanmoins intouchable. Il bénéficiait d’une grande liberté de parole sur les réseaux sociaux, où il compte près de 875 000 followers.
En fin de matinée, vendredi 21 juillet, les policiers sont venus arrêter Igor Guirkine chez lui, à Moscou. Il a été transféré devant un juge. Poursuivi pour « appels publics à l’extrémisme », il risque une peine allant jusqu’à cinq ans de prison. Implacable avec les opposants libéraux, la machine judiciaire s’est montrée pareillement intraitable avec le blogueur nationaliste qui, dans le fourgon de police, a envoyé un dernier message sur Telegram pour appeler ses supporteurs à le soutenir au tribunal (« Tout Russe doit venir ici. Gloire à la Russie ! »).
Ses avocats, qui ont eu moins d’une demi-heure pour se préparer, n’ont pas obtenu de report d’audience. Puis Igor Guirkine, 52 ans, père de famille avec deux enfants (dont un mineur), une épouse sans emploi et une grand-mère handicapée à charge, a demandé une assignation à domicile dans l’attente de son procès. Le juge a refusé et a immédiatement envoyé le prévenu en détention provisoire jusqu’au 18 septembre. Strelkov a donc passé sa première nuit en prison.
Un avertissement pour les ultranationalistes
Le message est clair pour toute voix critique en Russie, y compris, désormais, parmi les nationalistes. Leur opposition ne cessait de croître ces derniers mois. Avec, au-delà de Strelkov et de quelques autres blogueurs, une figure phare : Evgueni Prigojine, le chef paramilitaire du Groupe Wagner. Les vidéos au ton virulent de ce dernier contre le haut commandement militaire pouvaient apparaître comme une manipulation du Kremlin pour capter la mouvance ultranationaliste, remontée par les échecs sur le front ukrainien. Tout en restant, cependant, sous le contrôle des autorités.
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