Le 21 septembre, Philippine, 19 ans, a été retrouvée morte, grossièrement enterrée, dans le bois de Boulogne, à Paris, à quelques encablures de l’université Paris-Dauphine-PSL, où elle était étudiante. Très vite, on apprend que le meurtrier présumé, Taha O., est un ressortissant marocain de 22 ans, déjà condamné pour viol, en 2021, après avoir agressé, en 2019, dans la forêt de Taverny (Val-d’Oise), alors qu’il était mineur, une femme qui avait porté plainte, ce qui avait conduit à une condamnation à sept ans de prison − une peine non effectuée totalement. Très vite, on apprend aussi que Taha O. est sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français, qui n’a pas été appliquée. Très vite, enfin, alors que l’émotion est immense dans le pays, la mort de Philippine est instrumentalisée, en particulier par l’extrême droite et la droite, pour raviver un débat délétère sur la criminalité sexuelle associée, de manière quasi atavique, à l’immigration.
Quatre jours après la mort de Philippine, le nouveau ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, se dit ainsi, sur le réseau social X, décidé à « faire évoluer notre arsenal juridique pour protéger les Français ». Au fond, ce qui importe ici, on le comprend très bien, c’est qu’une « fille de France », comme le soulignent nombre de commentateurs politiques et médiatiques, ait été fauchée dans sa courte vie par un violeur étranger qui aurait dû, au moment du crime, être expulsé. Une « fille de France » qui est présentée, de surcroît, comme la victime expiatoire d’un « patriarcat immigré », en particulier dans sa dimension maghrébine et musulmane, dont la violence sexuelle serait en quelque sorte une marque de fabrique.
Cette idée contrevient pourtant aux chiffres mêmes établis par le ministère de l’intérieur, dans son rapport annuel, qui indique qu’en 2022, « 13 % des 55 174 personnes mises en cause pour des crimes et délits sexuels, dont 46 % pour viol ou tentative de viol, étaient de nationalité étrangère ». Que Philippine soit une jeune femme blanche, catholique, de milieu plutôt aisé, vivant dans une banlieue cossue de l’Ouest francilien en fait donc, pour l’extrême droite et la droite, une victime idéale : sa mort est utilisée pour alimenter un débat que l’on ne peut qualifier autrement que de nauséabond.
Une haine des femmes
Si Philippine doit être réduite à une identité, ce n’est certes pas, en cette tragique affaire, à son statut social, à sa confession religieuse ou encore à sa couleur de peau, comme le clame, de manière attendue, l’extrême droite, mais bien à sa qualité de femme. La première victime de Taha O. le souligne d’ailleurs dans une lettre ouverte poignante, le 29 septembre. « Mon agresseur a été condamné à la peine quasi maximale encourue pour ce type de crime commis par un mineur et a été incarcéré. Immédiatement après sa libération, il aurait récidivé et commis l’irréparable, écrit-elle. (…) La dangerosité de Taha O. était connue. Un homme qui viole une femme est dangereux. Qu’il soit inconnu de sa victime ou son mari, qu’il soit étranger ou français, que le viol ait eu lieu dans une forêt ou dans un appartement conjugal. Le viol est un crime. Il est le radical de la violence, il contient en son sein une négation de l’autre, de son droit à être et à exister. »
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